Culture
MODE ET BEAUX-ARTS : UN COMPAGNONNAGE ANCIEN
ATELIER, COLLECTION, CRÉATION : LA HAUTE COUTURE PARTAGE LES MÊMES MOTS QUE CEUX DES PEINTRES ET DES SCULPTEURS. CHAQUE MONDE S'INSPIRANT SOUVENT DE L'AUTRE.
Biétry-Rivierre, Eric
Si on y fait attention, elle est partout ; au Louvre comme dans tous les musées des Beaux-arts. La mode ? Elle se lit dans un bas-relief romain, un vase grec, une statue sumérienne, déjà. Et, bien sûr, dans les portraits. Lorsqu'on traverse les salles de peintures ou de sculptures, elle semble n'avoir été indifférente à aucun maître.
Sophie Fontanel l'a constaté. Pour son ouvrage lancé par l'institution, intitulé Défilé au Louvre et qui sort ces jours-ci chez Seghers (352 p., 35 euros), cette critique de mode s'est amusée à orienter sa promenade au fil des oeuvres en ciblant l'habit. Elle en est ressortie avec ce constat que les hommes « ont pris cher dans cette histoire . Ils se sont habillés de façon complètement dingue, avec des dentelles, des culottes bouffantes, des collants blancs, des chaussures pointues... Et puis à un moment donné, il y a eu le costume et on a fini de rigoler » .
La gaze transparente dont est couverte la Joconde, sa chemise blanche ressortant du crevé de sa robe verte, ou l'élégantissime Homme au gant du Titien - casaque noire sur chemise blanche au col à godrons : de tels détails ne sont pas seulement des adjuvants précieux pour l'historien de l'art. La représentation d'un vêtement ou de tel accessoire dans une composition est parfois le meilleur indice pour dater celle-ci. Parure d'un roi ou guenilles d'un saint : ces détails constituent également de puissants marqueurs sociaux.
Mais un drapé, un pourpoint, un casque ou une étole disent aussi tout l'intérêt que l'artiste porte à l'éclat, aux moirures, contrastes, textures, épaisseur ou légèreté. À tout ce qui est l'écorce éloquente des choses.
Les Rubens, Delacroix ou les peintres pompiers tels Jean-Léon Gérôme disposaient de toute une panoplie dans leur atelier pour leurs scènes historiques ou orientalistes. C'était une manière de faire vrai, mais aussi d'ajouter de la séduction à leurs oeuvres. Soit dit en passant, cela convenait tout à fait aux commanditaires.
Ainsi mode et beaux-arts sont liés par une trame aussi dense qu'ancienne. Ce lien se resserrant encore avec l'avènement de la modernité. On se souvient du Musée d'Orsay qui, lors d'une exposition en 2012-2013, avait montré les impressionnistes avec les tendances vestimentaires du moment qu'ils peignaient : fracs noirs baudelairiens et, pour ces dames, « faux-culs parisiens » lancés par Worth en guise de crinolines. Soit un appétit commun pour l'Ici et le Maintenant.
Autrement, par-delà de la fameuse robe Mondrian YSL qui reproduit un tableau presque littéralement, les couturiers ont souvent fantasmé les beaux-arts, se nourrissant librement de ceux de toutes les époques et civilisations. Au besoin en collectionnant. Poiret, Doucet, Chanel... Beaucoup se sont d'ailleurs révélés en grands acquéreurs : l'art venant parachever leur carrière. Marie-Louise Carven, pionnière de la mode parisienne, a par exemple, en 1973, fait don au Louvre d'une centaine d'objets.
En 2009, la vente de la collection d'art constituée par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé a duré trois jours. Parmi leurs trésors, des émaux de Limoges venaient d'Hubert de Givenchy. Celui-ci a possédé également la plus belle commode Boulle en mains privées, L'Armoire au char d'Apollon . Plus près de nous, Karl Lagerfeld collectionnait à peu près tout, et le XVIIIe particulièrement. En 1986, lors d'un shooting Chanel, Inès de la Fressange a porté pour lui la parure de saphirs de la reine Hortense et de la reine Marie-Amélie dans la galerie d'Apollon.
Christian Dior est un cas particulier. Sa trajectoire est inverse. Enfant de la bourgeoisie française, doté d'une solide culture classique, il s'était au départ construit une carrière de galeriste. Lors de sa saison haute couture printemps/été 1949, comme en clin d'oeil à ce passé, il a baptisé une de ses robes Musée du Louvre .
Mais, plus profondément, pour l'historien de l'art Olivier Gabet, artistes comme stylistes ont un rapport commun, tactile, à l'objet. Ses formes, ses textures, ses couleurs, bref sa matérialité, ainsi que la main qui fabrique sont reconsidérés aujourd'hui. Un peu comme en réaction à notre époque où l'image et le virtuel sont omniprésents. E. B.