January 23, 2025 | - | Le Monde (site web) |
Livre
Les pirates face à la mondialisation
Marc Semo
Le mot « pirate », dans le sens actuel, est plutôt tardif – il est mentionné pour la première fois dans le Dictionnaire universel, de Furetière, au XVIIe siècle – mais il est déjà présent, chez Homère ou Hésiode, sous la forme du mot peiratês , qui vient du verbe peirao qui signifie, en grec ancien, « tenter sa chance » ou « s’efforcer de ». A l’époque, le pirate n’est pas associé à une activité criminelle, relève l’historienne Sophie Muffat dans Géopolitique de la piraterie (PUF, 192 pages, 15 euros) : dans la Grèce antique, où « le pillage et l’asservissement des ennemis sont admis comme une circonstance de la guerre » , la piraterie est une activité socialement acceptée.
Aujourd’hui, la piraterie est considérée comme une entreprise criminelle contre laquelle tous les moyens de lutte sont permis. Dans un monde où environ 90 % du commerce mondial se fait par les mers et les océans, parcourus par quelque 250 millions de conteneurs, la piraterie constitue une menace. C’est le cas dans les détroits les plus fréquentés et les plus sensibles : celui de Malacca, entre l’Indonésie et la Malaisie, où sévissent des pirates tentés par l’appât du gain, ou celui de Bab Al-Mandab, à l’entrée sud de la mer Rouge, d’où des groupes terroristes comme les houthistes, soutenus par l’Iran, attaquent les navires occidentaux soupçonnés de commercer avec Israël.
Définition juridique tardive
La piraterie a une très longue histoire que retrace l’historienne. Elle évoque aussi bien les Vikings, au tout début du Moyen Age, en Europe du Nord, que les Barbaresques à partir du XIIe siècle, en mer Méditerranée. Ce phénomène connaît ensuite son âge d’or, aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec le commerce maritime et la guerre de course, une « opération de piraterie financée par l’Etat » et menée par les corsaires anglais et français aux dépens de l’Espagne. Ce n’est qu’en 1856, après la guerre de Crimée, que le traité de Paris interdit définitivement la guerre de course.
Il faut attendre la convention sur la haute mer, signée à Genève en 1958, et celle de Montego Bay de 1982, pour que la piraterie soit précisément définie sur le plan juridique. Les activités illégales de pillages, d’attaques ou de prises de possession de bateaux, menées à l’intérieur des eaux territoriales ou dans les zones économiques exclusives dépendant de la souveraineté des Etats sont alors considérées comme du « brigandage maritime » . Le terme de piraterie ne s’applique qu’au-delà de ces limites, en haute mer, dans les immenses espaces marins qui n’appartiennent à personne.
D’où l’extension de cette notion de piraterie à des activités criminelles se déroulant dans d’autres espaces infinis et dérégulés comme le cyber – avec, cependant, un problème de qualification juridique. La définition est « beaucoup trop restrictive, laissant impunis des pans entiers des crimes commis en mer » , souligne Sophie Muffat. Assimiler des attaques terroristes en mer à de la piraterie serait ainsi contraire aux traités en vigueur.