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vendredi 31 janvier 2025 941 words

« Je ne crois pas que les morts soient morts » : comment les convictions de François Bayrou ont fait reculer le débat sur l'aide à mourir

« Je ne crois pas que les morts soient morts » : comment les convictions de François Bayrou ont fait reculer le débat sur l'aide à mourir

Alors que le Premier ministre a annoncé vouloir scinder en deux le texte sur la fin de vie, les défenseurs d'une évolution législative en faveur d'une aide à mourir se mobilisent pour ce volet ne soit pas enterré.

« Je ne crois pas que les morts soient morts. Ceux qui sont de l'autre côté influencent notre vie. » Invité de LCI lundi 27 janvier, le Premier ministre François Bayrou a évoqué en ces termes la fin de vie et sa foi chrétienne. Une croyance qui, une semaine plus tôt, lui a fait donner des gages inespérés aux opposants à une aide active à mourir. Le 21 janvier, lors d'une discussion avec les élus du groupe Ensemble pour la République, le chef du gouvernement a en effet déclaré vouloir scinder en deux le texte sur la fin de vie, avec une loi consacrée aux soins palliatifs et une autre dédiée à l'aide à mourir. A ses yeux, cette dernière soulève des « débats de conscience extrêmement forts ». A travers cette division, François Bayrou s'inscrit dans la droite ligne des adversaires de toute forme d'euthanasie ou de suicide assisté, Société française d'Accompagnement et de Soins palliatifs (Sfap) en tête, elle pour qui « donner la mort n'est pas un soin ».

Fin de vie : la Sfap, un lobby très catholique contre l'aide à mourir

« La stratégie est limpide,dénonce Olivier Falorni, député de Charente-Maritime (Les Démocrates), qui mène la bataille pour faire bouger la législation actuelle. Le but est de faire voter d'abord rapidement le volet sur les soins palliatifs, pour ensuite renvoyer l'aide à mourir aux calendes grecques. » Une sortie « très cavalière » Le combat de l'élu a tout du rocher de Sisyphe. Déjà rapporteur du projet de loi sur la fin de vie discuté à l'Assemblée au printemps, il a vu des semaines de débats parlementaires voler en éclats à cause de la dissolution du 9 juin. A neuf jours près, le texte, qui prévoyait d'instaurer pour la première fois en France une aide à mourir, aurait été soumis au vote solennel. Pas de quoi décourager Olivier Falorni qui, en septembre 2024, a déposé une proposition de loi reprenant les termes du texte avorté. Elle est aujourd'hui signée par 240 députés, de La France insoumise au groupe Les Républicains. L'ex-Premier ministre Michel Barnier, pourtant peu engagé sur le sujet, avait accepté de l'inscrire à l'agenda parlementaire, avec un examen prévu le 3 février. Olivier Falorni était confiant : la nouvelle composition de l'hémicycle, désormais peuplé d'un grand nombre de députés issus du Nouveau Front populaire, lui laissait entrevoir une majorité de voix. Hélas ! La censure du gouvernement Barnier a de nouveau plongé dans l'incertitude les partisans d'une évolution législative.

Fin de vie : « M. Bayrou, laissez les députés débattre sur une seule loi »

Jusqu'à la sortie de François Bayrou, qu'Agnès Firmin-Le Bodo, ancienne ministre de la Santé (Horizons), présidente en mai de la commission spéciale sur la fin de vie, juge « très cavalière ». Elle poursuit : « On ne peut pas découvrir comme cela, lors d'une discussion, un tel point de vue. La moindre des corrections aurait été de prévenir avant les élus qui travaillent sur le sujet. » Pour la députée de Seine-Maritime, la scission du texte serait « une grosse bêtise, pour ne pas dire autre chose, car elle rouvrirait l'affrontement soins palliatifs/aide à mourir, qu'on avait réussi à apaiser, grâce aux mois de travail menés par la convention citoyenne et le Parlement ». Deux textes examinés au même moment « C'est scandaleux, s'indigne pour sa part Stéphane Delautrette, député socialiste de la Haute-Vienne et signataire de la proposition de loi d'Olivier Falorni. On nage en plein délire. La décision de François Bayrou est contraire à la méthode qu'il disait défendre : celle d'un travail parlementaire qui permet d'aboutir à des positions transpartisanes. »

Fin de vie : la Sfap, un lobby très catholique contre l'aide à mourir

De quelle manière le débat peut-il reprendre ? Pas par un projet de loi en tout cas, juge Olivier Falorni, qui ne voit pas « un ministre comme Bruno Retailleau [qui s'est publiquement opposé à l'euthanasie] en défendre un ». L'élu espère toujours que sa proposition de loi serve de base de travail. Preuve que la pression est montée d'un cran, le député, d'ordinaire plutôt adepte des méthodes douces, a convoqué mardi 28 janvier un point presse en urgence dans la salle des Quatre-Colonnes de l'Assemblée. « Nous sommes dans une démarche d'affirmation de la volonté parlementaire », a-t-il martelé, entouré de députés issus de tous bords : Elsa Faucillon (Gauche démocrate et républicaine), Sébastien Peytavie (Ecologiste et social), ou bien encore Frédérique Meunier (Droite républicaine). Emmanuel Macron, le grand absent Le matin même, François Bayrou avait commencé à lâcher du lest, en annonçant devant les députés centristes du groupe Les Démocrates que les deux textes seraient examinés au même moment. « Il n'y a qu'une personne qui peut remettre la discussion sur les rails, c'est François Bayrou », juge Agnès Firmin-Le Bodo. « Il est nécessaire d'aller au bout de l'exercice démocratique, insiste pour sa part Claire Thoury, présidente du comité de gouvernance de la convention citoyenne, qui avait ouvert la voie à une aide à mourir en avril 2023. C'est d'autant plus nécessaire dans un moment d'instabilité politique et alors que les Français n'ont plus confiance en leurs dirigeants. » Reste un grand absent dans ces débats : Emmanuel Macron, qui voulait pourtant faire du texte sur la fin de vie la grande loi sociétale de son quinquennat.

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