Les Echos, no. 24376
Dernière page, vendredi 10 janvier 2025 421 words, p. 14

L'éditorial des « échos »

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January 9, 2025 - lesechos.fr

Retraites, le piège de la pause

Par Dominique Seux

DOMINIQUE SEUX

C'est un double tournant « remarquable », pour prendre le mot en vogue dans les couloirs de Bercy. La gauche non-LFI négocie sa non-censure du gouvernement Bayrou en discutant avec le ministre de l'Economie, Eric Lombard. Lequel envisage en échange de suspendre la réforme des retraites de 2023 (rupture avec la loi Macron-Borne).

Personne ne peut reprocher aux socialistes de profiter à plein de leur nouvelle position charnière sur le budget 2025. Sans eux, l'avenir du Premier ministre est fortement compromis, et personne ne peut dire quelle serait la prochaine étape. C'est une question légitime et très sérieuse : le gel de la réforme est-il le prix à payer pour éviter une crise de régime ?

Des arguments en faveur d'une réponse positive, on en trouve facilement. Les enquêtes montrent que le report de l'âge légal de départ à 64 ans reste largement contesté. Adopté par la procédure du 49-3, le texte n'a jamais été « voté ». Enfin, plus fondamentalement, l'époque est aux libertés de choisir sa vie (et donc son départ en retraite) plutôt qu'aux injonctions.

Le plus tentant n'est pourtant pas le plus juste. En réalité, une suspension serait même une facilité. « Reprendre sans suspendre » , la première formule de François Bayrou s'entendait : donner une chance à une négociation pour faire évoluer des curseurs. Le gel ? Plusieurs syndicats n'en reviennent pas que cela soit arrivé si facilement sur un plateau.

Une pause serait un marché de dupes. Un, la réforme de 2023 a tellement distribué de « sucré » (des compensations) que le « salé » (sur l'âge légal) rapporte peu. Or personne ne reviendra sur les premières. La perte serait doublée ! La deuxième est que du mou pourrait être donné sur les retraites si le reste du budget était rigoureux. On n'en prend pas le chemin.

Trois, la situation financière de la France est fragile. Cela fait une semaine que les taux obligataires français sont tous les jours au-dessus des taux grecs. L'institut Rexecode a, quant à lui, relevé dans les statistiques américaines que les Français détiennent pour 330 milliards d'euros de Treasury bonds, contre 222 milliards, il y a un an. Des capitaux partent.

Le gouvernement a raison de chercher une voie de passage sur le budget. Bravo à lui aussi de rappeler que les comptes des retraites sont plus dégradés qu'on ne le dit, parce que l'Etat surcotise pour ses fonctionnaires. Mais il ne doit pas se faire d'illusions. Appuyer aujourd'hui sur la touche pause par anticipation n'aurait qu'une destination : un aller sans retour, c'est-à-dire un abandon.