Le Monde
Le Monde des Livres, vendredi 10 janvier 2025 279 words, p. LIV4

Critiques Littérature

L’adversaire

Raphaëlle Leyris

Un texte comme un corps-à-corps : la lutte douloureuse, acharnée, d’un homme avec son histoire, ses traumas, sa masculinité et une « culture du viol » que l’auteur fait remonter au moins à la mythologie grecque. Mais reprenons. Soit « le Père » – il ne se désignera presque jamais qu’à la troisième personne du singulier –, que la parentalité renvoie aux atteintes sexuelles imposées, entre ses 9 et ses 14 ans, par un ami de la famille. Accablé par ses souvenirs et ses angoisses, il est terrifié à l’idée d’être lui aussi un agresseur en puissance. Il se met à traquer les signes du « démon » en lui et autour de lui, lit les textes d’autres victimes, analyse le rapport de la société, et plus précisément du monde de l’art, à la pédocriminalité, envisage d’en dresser une « cartographie » . S’il « patauge dans le sombre » , la lumière provient de l’ahurissante inventivité littéraire dont Constantin Alexandrakis réussit à faire preuve dans L’Hospitalité au démon , son deuxième livre, après Deux fois né (Verticales, 2017). Viennent s’y prêter main-forte la rapidité de la langue, des jeux typographiques drôles ou inquiétants, jamais gratuits, et une forme de distance sarcastique qui rappelle ce que Neige Sinno désignait comme son propre « petit ton bravache » dans Triste tigre (P.O.L, prix littéraire Le Monde 2023). L’écrivaine signe d’ailleurs la préface de ce livre à la force peu commune, saisissant d’intelligence et de courage.

Lire le portrait de Constantin Alexandrakis dans « M le magazine du Monde » du 11 janvier.