La licorne est-elle un animal biblique ?
Dominique Pierre
Tout un symbole. Si la licorne a toujours une place dans notre imaginaire, elle le doit en grande partie à un médecin grec du Ve siècle avant Jésus-Christ ainsi que, aussi étonnant que cela puisse paraître, à la Bible.
Ctésias est un médecin grec, contemporain de Socrate. Originaire de Cnide, cité d'Asie mineure réputée pour ses médecins, il est engagé comme tel par le roi de Perse. Son long séjour à la cour persane lui permet d'explorer des contrées encore plus lointaines comme l'Inde. Il est le premier voyageur à mentionner un animal jusque-là inconnu : la licorne.
Ce ne sera pas le seul animal fabuleux qu'il évoquera. Ctésias, en ce sens, ne diffère pas des navigateurs qui se lanceront pour les grandes découvertes deux mille ans plus tard. Car c'est une constante depuis l'Antiquité, les voyageurs qui s'approchent des confins du monde connu s'attendent tous à y trouver une nature merveilleuse et des créatures fantastiques.
Cependant, la licorne de Ctésias, évoquée à sa suite par Aristote puis par Pline dans son Histoire naturelle, n'aurait pas eu un destin aussi important dans l'imaginaire de notre culture occidentale, si elle n'avait été considérée comme un animal biblique. Soyons clairs, si vous prenez une bonne traduction française de la Bible, aujourd'hui, vous n'y trouverez pas le mot « licorne ».
Cependant lorsque la bible hébraïque fut traduite en grec entre le IIIe et le IIe siècle avant Jésus-Christ, le nom d'un animal à corne (re'em en hébreu) qui apparaît neuf fois dans l'Ancien Testament fut traduit par monocéros (une corne) puis plus tard par unicornis en latin dans la Vulgate de saint Jérôme.
Un animal christique
Depuis l'Antiquité chrétienne, si personne ne remet en cause l'existence de la licorne -- sa présence dans la Bible reste un argument d'autorité --, les points de vue sont beaucoup plus divergents lorsqu'il s'agit de la décrire. Si tous s'accordent sur sa corne unique et sa barbichette, on dit aussi que son corps ressemble à celui d'une chèvre, d'un âne ou encore d'un cheval quand ce n'est pas celui d'un animal composite. On pense aussi que sa corne éloigne le mal et qu'elle purifie ce qui est empoisonné, les sources, en particulier. L'animal a aussi la réputation d'être indomptable : il peut devenir violent si on cherche à le capturer.
Le plus étonnant, c'est que l'on croit aussi qu'il est sensible au parfum de la virginité : lorsqu'une licorne croise au milieu d'une clairière une jeune fille vertueuse, elle s'en approche, se laisse apprivoiser et s'endort sur son sein. Une caractéristique que certains chasseurs impénitents ont bien comprise : ils attendent ce moment pour essayer de la capturer ou de la mettre à mort.
C'est au moins ce que montrent certaines tapisseries de la fin du Moyen Âge qui évoquent la chasse à la licorne ; elles sont cependant à comprendre de façon symbolique. Car la licorne est un animal christique qui est la figure de Jésus persécuté et mis à mort à cause de son amour pour les hommes et qui, aussi, rend hommage à la virginité de Marie. Une image qui faisait écho à la spiritualité médiévale et qui contribuera à ce que l'on représente désormais la licorne comme un beau cheval blanc pourvu d'une longue corne et d'une barbiche.
Différents trésors d'abbaye ou de cathédrale comme celui de Saint-Denis ont conservé précieusement, un peu comme des reliques, une corne de licorne. Les progrès de la zoologie au XVIIe et XVIIIe siècles permirent de comprendre qu'il s'agissait simplement de dents de narval et remirent en cause l'existence même des licornes. Cependant, il suffit de regarder les rayons de jouets des magasins, ou l'importante production cinématographique et littéraire du genre « fantasy », pour se dire que les licornes font toujours partie de notre imaginaire.
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