L'Obs
jeudi 9 janvier 2025 1421 words, p. 78,79,80,81

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January 12, 2025 - Le Nouvel Obs (site web)

Le tour du monde en six épiceries

Par Christel Brion ·

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Plus d'excuse pour ne pas cuisiner des plats venus d'ailleurs tant il est facile de trouver des produits exotiques à Paris. Passage en revue de nos adresses préférées. Dépaysement garanti I l est loin le temps où les épiceries étrangères n'étaient fréquentées que par les différentes diasporas vivant sur notre sol. A la faveur d'une mondialisation culinaire qui a bousculé l'univers de la gastronomie, les Français se sont désormais emparés des saveurs dites exotiques. De la fréquentation des restaurants proposant des spécialités étrangères jusqu'à la réalisation de plats à la maison, les foodistas ont sauté le pas et sont prêts à mettre la main à la pâte, en témoignent les ventes exponentielles des livres de recettes de tous les continents. Mais il faut pour cela réunir un certain nombre d'ingrédients, à l'instar du sumac ou de l'épine-vinette qu'on ne trouve pas au supermarché du coin. Et ce n'est pas un hasard si on a vu émerger récemment de véritables gastro-concept stores proposant, sur plusieurs étages, des produits italiens chez Eataly, dans le Marais, ou japonais chez Irasshai, rue du Louvre, et prochainement grecs chez Ypseli, rue Réaumur. Mais les petites épiceries plus confidentielles, avec leurs airs de cavernes d'Ali Baba et ces effluves parfumés qui s'échappent des sacs de céréales vendues en vrac, séduisent aussi les amateurs de voyages sensoriels. Pour goûter aux délicieuses saucisses thaïlandaises à la citronnelle, découvrir les croustillants tarallini (petits biscuits salés en forme d'anneau) au fenouil, ou acheter une pâte de tahini digne de ce nom, inutile de se rendre à Bangkok, dans les Pouilles ou à Jérusalem. Tous ces produits vous attendent, à deux pas de chez vous.

. IRASSHAI 40, rue du Louvre, Paris-1er Erigé voilà un peu plus d'un an, à quelques encablures de Little Tokyo, le quartier japonais parisien autour de la rue Sainte- Anne, ce temple alimentaire s'étend sur 800 mètres carrés et deux étages. Il dispose d'une cantine, d'un restaurant bistronomique, d'un café et, bien sûr, d'une épicerie. Les deux fondateurs de ce concept store de la food nipponne, Xavier Marchand et Thierry Maincent, fins connaisseurs de l'archipel, ont voulu démocratiser l'approche de sa gastronomie, en traduisant systématiquement les 1 200 produits des linéaires colorés. Ainsi, le soja et ses dérivés, les divers misos proposés (la bonne idée) en petit format, n'auront plus de secrets pour vous. On a déniché : une sauce soja bio fumée très originale de la marque Yugeta ; le shichimi, un mélange de sept épices qui donnera un délicieux coup de fouet à tous vos plats ; une huile de sésame très aromatique avec un goût torréfié intense de la marque Henko ; sans oublier une incroyable pâte de piment vert au yuzu, parfaite pour relever des légumes rôtis. Ces derniers temps, des box de Noël, dont celle pour les débutants, sont parfaites pour se lancer, avec divers ingrédients comme du riz koshihikari, recommandé pour les sushis, une sauce soja tamari, du miso, du bouillon dashi au kombu et du mirin.

Et aussi : Nishikidori, 6, rue Villedo, Paris-1er. RAFFINATI 74 ter, rue de Clignancourt, Paris-18e Nicola Balestra se définit d'abord comme « un cuisinier ». S'il aime préparer à l'improviste, dans sa minuscule cuisine derrière le comptoir de son épicerie, des carbonara de compétition, il vous apprendra qu'elles sont confectionnées avec du guanciale (de la viande séchée non fumée de porc) et, faut-il le rappeler, sans crème fraîche. « Les Français sont prêts à ce qu'on leur explique », veut croire ce natif des Pouilles, qui a très envie de montrer aux Parisiens qu'il n'y a pas que le parmesan ou le jambon de Parme dans la vie, mais aussi ce sublime fromage de brebis de Sicile au poivre et au safran, à la pâte dorée, ou ce speck affiné à l'eau-de-vie et aux myrtilles. En ce qui concerne les produits secs, Nicola propose les pâtes Casa Prencipe, fabriquées dans le Gargano, promettant du goût et de la texture, spécialement les orecchiette di grano arso au parfum de blé brûlé. On ne pourra pas repartir sans un sachet de tarallini au fenouil, ces petits gâteaux salés qu'on déguste à l'apéritif. Avant, on aura pris un café au comptoir accompagné d'une sfogliatella, cette petite pâtisserie traditionnelle napolitaine en forme de coquillage découpé en lamelles de pâte feuilletée, garnie ici de crème de noisette. Et aussi : Limoni, 20, rue Saint-Ambroise, Paris-11e. PROFIL GREC 109, rue de Belleville, Paris-19e Voilà une dizaine d'années que la gastronomie grecque a envoyé valser les caves voûtées et les photos jaunies de l'Acropole punaisées au mur. Des trentenaires valorisent le patrimoine de leur enfance, tel Alexandros Rallis, un Franco-Grec, créateur de cette épicerie parisienne, comme un lien entre ses deux patries. Avec les oliviers des parcelles familiales de Kalamata, dans le sud du Péloponnèse, il vend depuis 2009 son « or vert » à toute la bistronomie parisienne. Il sélectionne aussi des produits de la région, tels que cette poutargue Golden Age en exclusivité avec le producteur Trikalinos, ou cette grosse olive noire en saumure, qu'il vend par dizaines de bidons. Ouzo, feta, miel de thym ou de bruyère, marmelade de figues, sauge, origan, amandes de l'île de Kia, ou piment en flocons sont les autres pépites de cette épicerie du haut de Belleville. Côté frais, on se jette sur le saganáki, ce fromage à griller, encore plus croustillant que le halloumi chypriote.

Et aussi : Yorgios, 31, rue d'Hauteville, Paris-10e. VELAN 83-85, passage Brady, Paris-10e Antoine Ponnoussamy et son épouse Rani ont ouvert en 1976 cette épicerie du passage, bien connu pour ses nombreux restaurants indiens traditionnels. Originaire de Pondichéry, il était arrivé dans les bagages de son patron pour cuisiner à domicile. Licencié au départ de son employeur, il décide d'importer des produits de son pays natal et s'installe près d'un restaurant indien. Depuis une vingtaine d'années, l'échoppe a été reprise par Patricia et Delia, les filles du couple, qui continuent d'officier dans ce Little India du passage Brady. On vient surtout ici pour les subtils mélanges maison, comme celui au curry doux composé de fenugrec, curcuma, coriandre, fenouil et moutarde, et les mélanges de chaï (thé) aux épices, à la cardamome ou à la rose. On trouvera tous les ingrédients pour cuisiner un dahl de lentilles, ou un palak paneer du Pendjab. C'est ici qu'on pourra se procurer le fameux ghee, ce beurre clarifié, débarrassé de lactose, et plus digeste. C'est aussi le royaume du riz basmati, des chutneys et des pickles. Au frais, à côté du ghee, ne pas manquer le délicieux lassi maison à la mangue.

. MAISON HUANG 5, rue de l'Echiquier, Paris-10e Les énormes supermarchés du 13e, tel Tang Frères, ou de Belleville, comme Chen Market, sont bien connus des amateurs de saveurs asiatiques. Mais avouons qu'ils nous donnent un peu le tournis avec leur profusion de produits, et ces linéaires qui n'en finissent pas. Nous avons trouvé, du côté de Strasbourg-Saint-Denis, une épicerie familiale à taille humaine, créée en 1989, Maison Huang, dont les fondateurs sont originaires de la région de Shanghai. Le lieu, lumineux, contraste aussi par son agencement, quelques caisses en bois disposées près des produits frais qui pourraient presque lui donner un air d'épicerie tendance. On trouve un choix pertinent de produits chinois, thaïlandais, vietnamiens, cambodgiens, indonésiens, et, en priorité, quand c'est possible, bio et sans OGM. Le rayon coloré des sauces sriracha est impressionnant de variété, de la « super spicy » à la «mayo vegan ». On a même trouvé deux sortes de saucisse à la citronnelle, des feuilles de combava, des gyozas, des pâtes de curry vert, rouge ou jaune à mélanger avec l'onctueux lait de coco Aroy-D.

. ESKAN 62 bis, rue des Entrepreneurs, Paris-15e La cuisine persane est envoûtante et parfumée, mais assez sophistiquée, avec des ingrédients particuliers. C'est rue des Entrepreneurs, dans le 15e arrondissement, que se concentrent la plupart des restaurants des Iraniens, venus à Paris en 1979 à la chute du shah. La plupart s'approvisionnent dans cette toute petite épicerie tenue depuis 1990 par la famille Varam, Mahmoud d'abord, puis aujourd'hui, avec l'aide de son fils, Amir. On y trouve tout pour réaliser les meilleurs plats perses, des riz de qualité pour s'essayer au fameux riz croustillant safrané à l'iranienne, des sachets grand format d'herbes pour les galettes, des dattes d'Ispahan, de l'eau de rose, du yaourt à l'ail et le pain barbari traditionnel. On ne pourra pas repartir sans ce mélange shirin polo (amandes et pistaches émincées, écorces d'orange et épines-vinettes), généralement utilisé dans les plats lors des mariages. Et aussi : Sepide, 62 ter, rue des Entrepreneurs, Paris-15e

Photos Arthur Gau