Affaires
Go home !
Leo Mirani Asia correspondent, The Economist
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Le « surtourisme » est-il une réalité ? Demandez aux gens qui ont la chance de vivre dans ou à proximité d'Amsterdam, de Goa, du mont Fuji ou de n'importe quelle ville de taille moyenne de l'Europe du Sud, et ils vous répondront oui sans hésiter. Ils en ont par-dessus la tête. L'af..ux de touristes, râlent-ils, provoque embouteillages et pollution, fait grimper les prix des logements et détourne les priorités du développement des besoins de la population locale. Les autorités sont exhortées à prendre des mesures. Certaines l'ont fait. En 2024, Venise a limité les groupes à vingt-cinq touristes et, les jours d'af..uence, instauré une taxe de 5 euros pour les voyageurs de passage pour la journée. Amsterdam envisage de déménager son terminal de bateaux de croisière loin du centre-ville, et d'obliger certains bateaux à jeter l'ancre à Rotterdam, à 85 kilomètres de la capitale. Barcelone et certaines régions grecques prennent des dispositions contre les bateaux de croisière et les locations de courte durée telles que celles proposées par Airbnb. Rome ré..échit à la mise en place d'une taxe de 2 euros pour admirer la fontaine de Trevi. La Nouvelle- Zélande, pays qui héberge huit fois plus de moutons que de touristes, a triplé sa taxe de séjour.
L'impact de ces mesures reste à mesurer. Près d'un demi-million de touristes se sont acquittés sans problème de la taxe vénitienne, qui ne coûte que le prix d'un café place Saint Marc, ce qui semblerait indiquer qu'elle était trop faible pour dissuader les gens qui ne viennent que pour la journée. Les guides des voyages organisés divisent leurs clients en groupes de 25, mais ces groupes ne s'éloignent guère les uns des autres. Déplacer les terminaux de bateaux de croisière hors des centres-villes risque d'augmenter la circulation sur les voies reliant les ports aux sites visités. Et supprimer les locations de type Airbnb restreint la concurrence et permet aux gérants des hôtels d'augmenter indûment leurs tarifs. Ces initiatives ne sont donc pas seulement d'ordre cosmétique, elles traduisent une réaction excessive face au surtourisme. L'été 2024 a battu tous les records en terme de nombre de voyages d'agrément. Le nombre de déplacements de loisir devrait légèrement dépasser le pic de 2019. Mais il importe de ne pas se laisser induire en erreur par cette forte hausse. Au niveau mondial, entre 1995 et 2019, les voyages internationaux ont augmenté au rythme de 5 % par an avant de s'effondrer avec les con..nements de 2020 et 2021 dûs au Covid-19. Pour que leur nombre retrouve leur niveau de 2019, il a fallu que la progression soit de 66 % en 2022, de 46 % en 2023 et d'au moins 38 % en 2024. Si une croissance de 5 % semble gérable , une croissance de 40 % risque d'être vécue comme un raz-demarée. Face à l'équivalent d'une progression sur vingt-cinq ans concentrée en trois ans seulement, il est compréhensible que même les gens les plus raisonnables s'énervent. La bonne nouvelle est que 2025 promet d'être un peu plus calme. Les compagnies aériennes, les hôtels et les croisiéristes notent une baisse de fréquentation de leurs sites web. Airbnb a fait savoir en août que la demande américaine de voyages à l'étranger – une énorme part du marché touristique – ralentissait. Les agences de voyage en ligne font part d'une légère baisse des tarifs. Les hôtels et les entreprises du secteur des voyages et du tourisme con..rment la tendance générale. La situation, spécialement en Europe, pourrait revenir à la normale. Le nombre de touristes continuera à augmenter, mais à un rythme plus modéré, proche de celui qui prévalait avant la pandémie. Pour tirer pro..t des opportunités économiques qu'offre le tourisme, les villes qui ont la chance d'avoir la faveur des visiteurs préféreraient sans doute éviter d'ériger des barrières, et plutôt mettre en avant leur désir d'accueillir le mieux possible les voyageurs. Cela passe par des mesures telles qu'encourager les voyages hors-saison ou mieux gérer la répartition des touristes dans une ville ou une île de façon à ce qu'ils ne « s'agglutinent pas tous dans le même kilomètre carré », remarque Margaux Constantin, du cabinet de consultants McKinsey. En 2023, Londres a reçu 18,8 millions de visiteurs, soit plus que n'importe quelle ville à l'exception d'Istanbul. Rares pourtant sont les Londoniens à se plaindre de la présence de ces touristes (alors qu'ils sont prompts à se plaindre de beaucoup d'autres choses). L'alternative consisterait à se barricader et, ce faisant, à perdre des recettes au pro..t d'autres destinations. Or le tourisme est une lucrative industrie d'exportation ; beaucoup des pays qui envient les problèmes de l'Europe assouplissent les restrictions sur les visas a..n d'attirer les voyageurs de pays comme l'Inde, où le nombre de déplacements vers l'étranger est en plein boom. Et ceux qui protestent bruyamment dans les villes européennes ne sont en réalité qu'une petite minorité. Interrogés récemment sur l'impact du tourisme sur leurs villes, 75 % des Espagnols estimaient qu'il était positif, 8 % seulement étaient d'opinion contraire. Après tout, les mêmes qui se plaignent du surtourisme chez eux font bien à l'occasion du tourisme ailleurs, non ? n
Venise débordée par les bateaux de croisière. © Mirco Toniolo/Ropi-Rea