January 28, 2025 | - | Le Monde (site web) |
« Mon pays est atteint d’un cancer, j’attends sa rémission pour rentrer »
Cynthia Tagger a quitté Israël à la suite du 7-Octobre. Après Zanzibar et le Portugal, elle s’est installée en Grèce avec deux de ses enfants
Marina Rafenberg
Athènes - correspondante - Le 8 octobre 2023, au lendemain de l’attaque du Hamas sur le territoire israélien, Cynthia Tagger n’a pas hésité, elle a bouclé ses valises et a embarqué avec ses quatre enfants dans le premier avion disponible. « Je suis partie d’Israël après avoir perdu espoir. Cela faisait déjà longtemps que j’envisageais un départ avec ma famille. Pendant des semaines, j’avais manifesté contre la réforme de la justice à Tel-Aviv [à partir de janvier 2023] , je voyais la dérive autoritaire prise par ce gouvernement et l’influence des religieux sur les décisions politiques augmenter. Mais [l’attaque du Hamas], le 7 octobre [2023], a précipité notre exil » , explique Cynthia Tagger, coach spécialisée dans la prise de parole en public pour des entreprises.
Depuis cinq mois, la quinquagénaire s’est installée avec ses deux plus jeunes enfants, de 6 et 10 ans, dans une banlieue d’Athènes. Après un bref séjour à Zanzibar (Tanzanie), elle s’envole pour le Portugal, puis, pour des raisons de proximité avec Tel-Aviv – deux heures de vol depuis Athènes –, elle vient en Grèce, comme d’autres Israéliens qui ont trouvé refuge dans la capitale grecque. Depuis, elle fait des allers-retours toutes les deux semaines pour voir ses deux fils aînés, de 15 et 17 ans, et son mari, restés à Tel-Aviv.
Le nombre exact d’Israéliens arrivés en Grèce après le 7-Octobre est difficile à évaluer. Mais, selon le ministère grec des migrations, le nombre de « visas dorés » – une formule permettant aux étrangers qui investissent au moins 250 000 euros dans l’immobilier d’obtenir une carte de séjour de cinq ans – délivrés aux Israéliens a augmenté d’environ 70 % en un an. Cynthia bénéficie quant à elle d’un visa de nomade numérique, qui permet aux personnes travaillant en ligne et payés plus de 3 500 euros brut par moisd’obtenir une carte de séjour de deux ans.
Lors de ses premiers mois à l’étranger, Cynthia reste discrète et ne partage rien sur les réseaux sociaux. « Nous avions peur d’être jugés pour avoir quitté notre pays. Mon pays est comme atteint d’un cancer, et j’attends sa rémission pour rentrer. Mais, au départ, j’étais hantée par la culpabilité, comme lorsqu’on abandonne un parent malade » , admet-elle. Au fil des mois, elle reçoit cependant un nombre grandissant d’appels de proches qui n’arrivent pas à se faire à l’ambiance pesante liée à la guerre à Gaza et qui souhaitent, eux aussi, partir. La grande majorité est comme Cynthia, farouchement opposée au gouvernement. Outre l’impact du conflit, après dix-sept ans de présence de Nétanyahou au pouvoir, la mère de famille souligne une détérioration des services publics, un manque d’investissements dans les hôpitaux et l’éducation au profit de mesures favorables aux soutiens de l’extrême droite au pouvoir avec le premier ministre.
« En Israël, nous avons l’habitude des guerres, mais nous n’en avons jamais connu une comme celle-ci ! Ce gouvernement n’a pas été en mesure d’assurer la sécurité de ses citoyens et nous n’avons plus confiance. Nous ne pensons pas qu’il cherche réellement à obtenir une paix durable avec le peuple palestinien » , constate la coach. Désormais, elle estime que sa « voix » doit aussi être entendue alors que les plus radicaux prennent la parole dans les médias et occupent l’espace public.
Propagande de certains médias
Quand elle retourne en Israël, comme début janvier, elle s’étonne de la radicalité de certains de ses concitoyens. « Ils subissent la propagande continue de certains médias progouvernement et ne réfléchissent plus par eux-mêmes ! », se désole-t-elle. Elle n’hésite pas à continuer d’échanger avec certains travailleurs palestiniens qu’elle avait rencontrés en Israël avant la guerre : « Ils me disent qu’ils ne veulent pas du Hamas à Gaza. Mon mari et moi sommes pour que les Palestiniens soient libérésdu Hamas, et qu’ils puissent se construire un avenir et vivre en paix avec nous » , poursuit-elle.
Cynthia ne sait pas quand elle sera prête à rentrer en Israël. « J’ai encore envie de croire qu’Israël peut redevenir mon pays, celui qui fait face uni aux défis, celui que j’ai choisi à l’âge de 15 ans en partant d’Argentine, sans regret et avec beaucoup d’attentes ! » , dit-elle, émue. L’échéance qu’elle redoute le plus se situe dans un an et demi, lorsque son fils aîné devra commencer son service militaire. « Je ne sais pas, à ce moment-là, si je pourrai rester à l’étranger, je serai trop inquiète de le savoir sur le terrain , confie-t-elle. J’aimerais le persuader de ne pas y aller. Je suis pour que mes enfants se battent pour de belles valeurs, mais pas pour ce gouvernement qui entraîne tout un pays sur la mauvaise route ! »