January 2, 2025 | - | Le Monde (site web) |
Le métro de Riyad, vecteur de la mutation du royaume saoudien
Ouvert en décembre 2024, le réseau de transport public vise à décongestionner une ville conçue pour la voiture, et dont la population ne cesse d’augmenter
Hélène Sallon
Riyad - envoyée spéciale - Al’avant de la rame de la ligne bleue du métro de Riyad, qui offre une vue panoramique sur la mégapole saoudienne, des familles et des groupes d’amis se relaient pour immortaliser leur premier trajet en vidéo. Des villas de couleur sable du quartier d’Olaya aux gratte-ciel du King Abdullah Financial District (KAFD), la ville s’offre à leur vue. En cette matinée de week-end, Emane, une commerciale de 30 ans, a proposé à ses deux filles de 5 et 8 ans une balade dans ce métro « dont tout le monde parle » .
Depuis l’ouverture des trois premières lignes, le 1er décembre 2024, ce moyen de transport, entièrement automatisé et en grande partie aérien, est un objet d’engouement. Avec ses rames et ses stations au look futuriste, il confère à la mégapole, alanguie au milieu du désert, l’image de modernité que le prince héritier, Mohammed Ben Salman, surnommé « MBS », veut donner au royaume. Le réseau, qui relie presque tous les sites majeurs de la capitale saoudienne, occupe une place centrale dans Vision 2030, le plan de transformation et de diversification économique.
Avec l’organisation de l’Exposition universelle 2030, puis de la Coupe du monde en 2034, Riyad doit devenir la vitrine des ambitions du prince âgé de 39 ans. Sa mise au ban de la scène diplomatique, après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, en 2018, appartient au passé, malgré un bilan encore peu enviable en matière de droits de l’homme. Il veut faire de Riyad un hub d’affaires, où les capitaux étrangers afflueront, et une destination touristique mondiale. Le royaume projette d’accueillir 70 millions de touristes par an à l’horizon 2030, contre 23 millions en 2023.
Croissance urbaine inachevée
Le projet de métro de Riyad a été lancé en 2012, quatre avant la présentation de Vision 2030. Il s’agissait alors de répondre aux embouteillages monstres qui congestionnent la capitale saoudienne. L’expansion de la ville moderne dans les années 1970, financée par les revenus du boom pétrolier, s’est faite autour de l’automobile. « L’urbaniste grec Constantin Doxiadis a pensé la ville de Riyad sur le modèle des villes américaines comme Los Angeles. Quand vous planifiez la ville autour de la voiture, l’expansion est rapide, mais non durable, car elle crée beaucoup d’embouteillages » , souligne Yasser Elsheshtawy, professeur d’architecture à l’université Columbia.
Avec la politique de développement immobilier de « MBS », le problème va s’aggravant. Les nouveaux quartiers poussent comme des champignons, avec leurs villas entourées de hauts murs, conformes au modèle de la famille saoudienne, jalouse de son intimité. La mégapole s’étire aujourd’hui sur près de 50 kilomètres, du nord au sud, et jusqu’à 40 kilomètres d’ouest en est. La croissance urbaine est loin d’être achevée : la population de Riyad devrait passer d’environ 8 millions d’habitants aujourd’hui à 10 millions en 2030.
« C’est important pour le régime, pour asseoir sa légitimité et s’assurer une loyauté, de fournir à chaque citoyen l’accès à la propriété, mais cela ne peut continuer sans fin. Pour honorer les engagements relatifs à la lutte contre le changement climatique, il faut une ville plus compacte, moins énergivore. Le régime commence à comprendre qu’il faudra que les gens vivent dans des immeubles » , note M. Elsheshtawy. Des projets de ville verticale apparaissent, telle Qiddiya. Il manque encore, selon l’architecte, une volonté politique pour inciter les Saoudiens à arrêter d’utiliser leur voiture.
Le métro de Riyad est une partie de la solution. Il devait être inauguré en 2018, mais les travaux, estimés à 35 milliards de dollars (33,65 milliards d’euros) par la société de consulting immobilier Knight Frank, ont accumulé les retards. Accusé d’enrichissement illégal, l’ancien gouverneur de Riyad, le prince Turki Ben Abdullah, a fait partie des personnalités et des hommes d’affaires du royaume séquestrés à l’Hôtel Ritz-Carlton, en novembre 2017, dans le cadre d’une vaste purge anti-corruption ordonnée par MBS. Le projet a été repris en main par le Fonds public d’investissement saoudien (PIF), devenu la locomotive financière du royaume et le moteur de Vision 2030.
Il y a eu d’autres contretemps, comme la pandémie de Covid-19, qui a entraîné des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. Des compagnies internationales ont poursuivi les autorités saoudiennes pour des retards de paiement et des impayés de plusieurs milliards de dollars, en 2021. « C’est néanmoins un véritable exploit que d’avoir réussi à construire, en dix ans, ce gigantesque réseau, avec les contraintes imposées par le sable et les hautes températures », salue M. Elsheshtawy.
Six lignes ont été ouvertes progressivement au cours du mois de décembre 2024, pour un total de 176 kilomètres et de 85 stations, avec une capacité de 3,6 millions de passagers par jour, selon la commission royale pour la ville de Riyad. Une septième ligne est déjà en prévision. Un réseau de lignes de bus a été mis en place pour quadriller la ville de transports publics. « Le problème est que vous devez marcher pour passer du métro au bus, puis finir à pied jusqu’à l’endroit où vous devez aller. L’hiver, le temps est clément, mais l’été, c’est intenable. Il faut adapter les installations urbaines pour planifier le dernier kilomètre » , préconise M. Elsheshtawy.
Le métro de Riyad devrait néanmoins rencontrer plus de succès que celui de Dubaï, qui n’est emprunté que par les étrangers. Les embouteillages et l’augmentation du coût de la vie dans le royaume en font un moyen de transport privilégié.
Quartier animé d’Olaya
Haneen est déjà une usagère régulière. Laborantine à l’hôpital Docteur-Sulaiman-Al-Habib, dans le nord de Riyad, elle mettait, de l’extrémité sud de la capitale, deux heures en taxi dans les embouteillages et dépensait 65 rials (16,60 euros) pour se rendre à son travail. Grâce au métro, elle met à peine une demi-heure porte à porte et ne dépense plus que 4 rials, le prix du ticket. « Ça me change la vie ! C’est terminé, la voiture ! » , s’enthousiasme la jeune femme de 33 ans, vêtue d’une abaya et d’un voile bleu.
Les jeunes de moins de 35 ans, qui composent près des deux tiers de la population saoudienne, sont nombreux à emprunter le métro pour se rendre à l’université ou sortir le soir. Ils descendent dans les stations du quartier animé d’Olaya pour déambuler sur l’avenue Tahlia, surnommée les « Champs-Elysées de Riyad », en raison des larges trottoirs et des nombreux cafés et restaurants, ouverts pour certains vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce quartier, devenu le nouveau centre de la capitale à la fin des années 1980, a pris son essor une décennie plus tard grâce au « programme d’humanisation », mené par le prince Abdulaziz Ben Nayef, architecte et ancien maire de Riyad. Cette politique poursuivie par son fils, qui a repris la mairie, a permis de faire d’Olaya un véritable espace de vie.
« Riyad n’était pas une ville dans laquelle il était possible de marcher. Chaque quartier est un centre urbain à part entière » , note Yasser Elsheshtawy. L’architecte plaide pour développer le « programme d’humanisation » à plus grande échelle, notamment autour des nouvelles stations de métro, comme celle du KAFD. Nœud de communication, cette station se trouve à côté du Sports Boulevard, une sorte de coulée verte, actuellement en construction, censée s’étirer, à terme, sur 135 kilomètres.
Riyad se surprend à devenir plus attractive que Djedda ou Dammam, villes plus libérales, mais qui ont connu moins de transformations. Les offres d’emploi y sont plus nombreuses, en particulier dans les institutions gouvernementales, où tous les projets pilotés par l’omniprésent PIF sont concentrés. « Si je pouvais déménager à Riyad, je le ferais, désormais tout se passe ici » , reconnaît Abdullah, un restaurateur de Djedda âgé de 19 ans. Une fois par semaine, le précoce entrepreneur passe quelques heures dans son restaurant de Riyad. « Je fais l’aller-retour en avion dans la journée. Avant, je passais quatre heures ici, dont deux dans les embouteillages. Désormais, je prends le métro et je suis en ville en quarante minutes ! »