Le Figaro, no. 25011
Le Figaro, jeudi 23 janvier 2025 583 words, p. 3

Politique

CHRONIQUE CONTRE-POINT

Des craintes opposées qui ne sont pas levées

Tabard, Guillaume

Le texte sur la fin de vie, dont l'Assemblée s'était saisie avant la dissolution, sera finalement scindé en deux. Et il y a trois manières de lire cette décision de François Bayrou. Les partisans d'un « droit » au suicide et à l'euthanasie sont furieux car ils y voient un prétexte pour contrecarrer leur projet. Ceux qui refusent à l'inverse la levée du tabou de la mort donnée se demandent pourquoi le premier ministre, que l'on croyait pourtant hostile à cette perspective, prend de lui-même l'initiative de remettre le sujet à l'ordre du jour. Une troisième lecture, enfin, soulignera l'habileté d'un Bayrou qui cherche à déminer un sujet passionnel sans l'enterrer. Ces trois approches ne s'excluent pas l'une l'autre.

En refusant une reprise immédiate et en l'état du texte examiné en juin, il est vrai que le premier ministre refuse de céder à la pression de Yaël Braun-Pivet, qui l'avait sommé de l'inscrire tel quel à l'ordre du jour dès le 3 février ; et à celle d'Olivier Falorni qui, dès la nomination de Michel Barnier, avait mobilisé près de 240 députés en ce sens. En dépit du soutien incontestable de l'opinion, un tel empressement peut surprendre alors que le gouvernement doit régler plusieurs urgences, à commencer par la nécessité de doter le pays d'un budget. La présidente de l'Assemblée nationale prend d'ailleurs un double risque. Celui d'abîmer la nature arbitrale de sa fonction, en se mettant aux avant-postes d'un combat militant. Et celui de s'identifier dans le débat public à un sujet unique, elle qui devrait au contraire élargir le spectre de ses interventions.

Il n'en est pas moins vrai que la séparation du projet de loi en cours en deux textes, l'un sur les soins palliatifs, l'autre sur l'aide active à mourir, modifie l'approche du sujet. Dans le texte initial, résultant du choix d'Emmanuel Macron de lier les deux objets, le volet soins servait de paravent à la légalisation de l'euthanasie. Quiconque aurait voté contre aurait par là même empêché la généralisation des soins palliatifs. Avec le découplage, la perspective est forte que le premier texte obtienne un large consensus à l'Assemblée tandis que le second deviendra de ce fait nettement plus clivant. Donc avec une certitude d'adoption inférieure. L'argument du refus de la souffrance en fin de vie perdrait en effet de sa pertinence. Un accès réel aux soins palliatifs pourrait ainsi rendre moins souhaitable ou moins demandé l'appel à un geste de mort. C'est ce qu'espèrent les soignants ; c'est ce que redoutent les tenants du « droit » à mourir.

Les pro-euthanasie redoutent également que les contraintes du calendrier parlementaire renvoient l'examen du second texte aux calendes grecques. Et suspectent que l'intention réelle de François Bayrou soit de jouer de ces contraintes pour enterrer purement et simplement le volet aide active à mourir. Or, la porte-parole du gouvernement a martelé qu'il n'était « pas question » d'y renoncer et que cette discussion devait intervenir « le plus vite possible ». Comme si l'exécutif voulait au contraire donner des garanties aux militants de l'euthanasie et revendiquait une impatience égale à la leur. Prendre du temps pour relancer un débat national confisqué par le huis clos d'une « convention citoyenne » serait-il pourtant déplacé ? On le fait bien sur les retraites. Ceux qui se posent en défenseurs du Parlement devraient plutôt se féliciter que la nouvelle Assemblée ne se contente pas de repartir de ce que l'Assemblée précédente - qui ne lui ressemblait pas - avait commencé. G. T.