L'Humanité
mardi 28 janvier 2025 533 words, p. 20
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January 27, 2025 - L'Humanité (site web)

Castor et Pollux, la tête dans les nuages

Clément Garcia

Opéra Peter Sellars plonge l'oeuvre de Rameau dans les périphéries urbaines en rendant très actuel le regard des dieux sur une humanité malade. Mais, en peinant à soutenir l'attention, malgré des danses de haute volée et un splendide plateau vocal.

C astor et Pollux, de Rameau, fêtait son grand retour à l'Opéra Garnier dans sa version initiale et rare de 1737 (l'oeuvre a été revisitée en 1754). C'est-à-dire avec un prologue dont il aurait été bien dommage de se passer. D'une part parce qu'il est baigné d'une musique irisée et virevoltante, d'autre part parce qu'il introduit immédiatement Vénus, déesse de la Beauté, appelée pour neutraliser Mars, dieu de la Guerre, et apporter une paix temporaire à une humanité au bord du précipice. Une accroche très actuelle dont s'est saisi Peter Sellars pour une rare incursion dans l'opéra baroque, avant de rentrer dans le vif du mythe avec la mort au front de Castor, l'entreprise de son frère Pollux pour le délivrer des Enfers mais en l'y remplaçant et au prix d'un désamour avec Télaïre, toute dévouée à Castor. Par un deus ex machina, Jupiter consent finalement à rendre les deux frères immortels et par la même occasion à délivrer le monde d'une guerre interminable. Ici, le propos se déploie dans un paysage universel de banlieue urbaine, avec pour tout décor et tout du long un intérieur d'appartement défraîchi, kitchenette, canapé fatigué et cabine de douche gagnée par la rouille. Au lointain, un écran voit défiler images cosmiques et vues satellitaires de notre bonne vieille Terre. Les dieux nous observent, simples mortels, et jugent sévèrement le sort d'une humanité abandonnée, semble vouloir nous dire Sellars à grand renfort d'abstractions métaphysiques.

Aussi s'y perd-on un peu, sûrement du fait d'une scénographie statique et peu cohérente. On sait l'opéra en crise et la nécessité d'y déployer un propos sans débauche de moyens, mais au prix d'une dynamique scénique qui faisait ici défaut. Si ce n'était par la présence de danseurs new-yorkais emmenés par le chorégraphe Cal Hunt, adepte du flexing, une danse dérivée du hip-hop, dont les contorsions spectaculaires ont accaparé toute l'attention. De surcroît, le choeur, au demeurant splendide, ne semble avoir bénéficié d'aucune direction d'acteur, laissant chacun s'agiter de manière assez désordonnée. La direction musicale était confiée à la jeune star grecque Teodor Currentzis, impressionnant de fougue et de maîtrise avec son orchestre Utopia. Mais sa direction fauve donnait souvent l'impression d'un grand manège. Le chef semblait s'être souvenu de ses Mozart décapants (Don Giovanni, Cosi fan tutte, les Noces de Figaro) livrés en concert ces dernières années pour aller au nerf de la partition, au détriment des subtilités ramistes. Une lecture malgré tout originale qui témoigne de l'attention toujours aussi vive dont bénéficie le compositeur baroque et qui a sans doute suscité les progrès considérables du chant requis. Ce que confirmait un plateau vocal de toute beauté (Jeanine de Bique, Stéphanie d'Oustrac, Nicholas Newton, Marc Mauillon, Laurence Kilsby). Mention spéciale au ténor Reinoud Van Mechelen, dont la diction et la ductilité du timbre ont porté le rôle de Castor dans des abîmes de beauté.