Histoire
LA CHRONIQUEJACQUES DE SAINT VICTOR
Nabuchodonosor, le roi de la tour de Babel
biographie Évocation d'un roi honni et glorieux, qui a régné plus de quarante ans sur l'empire babylonien.
de Saint Victor, Jacques
Son nom seul nous est encore familier. Dans son célèbre opéra, Verdi a rappelé, avec le Choeur des esclaves , un épisode célèbre du règne de Nabuchodonosor II : l'asservissement des Juifs, leur exil à Babylone après la première destruction du temple de Jérusalem. « Oh ma patrie si belle et perdue » , chantent les esclaves du Nabucco qui deviendra le leitmotiv de tous les partisans de la liberté, depuis les hommes du Risorgimento qui, les premiers, s'en sont emparés, jusqu'aux récentes révoltes, en passant par les luttes contre le totalitarisme soviétique. Mais qui était précisément ce roi de Babylone, Nabuchodonosor II, qui incarne à jamais, dans la mémoire collective, le pouvoir despotique de l'Orient ? Fut-il le fou et la « bête sauvage » dont nous parle le prophète Daniel ? Ou fut-il au contraire le roi glorieux que les penseurs grecs ont transmis aux penseurs du Moyen Âge chrétien et que reprendront les auteurs des Lumières et du XIXe siècle ? Bref, un roi glorieux ou un satrape oriental ?
Un grand bâtisseur
Il semble, au-delà de toute forme d'orientalisme douteux, que les Grecs soient plus justes que les Juifs dans leur jugement sur Nabuchodonosor. Ce dernier fut un roi glorieux, ayant régné plus de quarante ans sur l'empire babylonien, ce qui en fait un des règnes les plus longs de l'Orient, artisan de l'élargissement de son empire sur tout le Croissant fertile, de la Syrie jusqu'au golfe Persique. Ce fut surtout un grand roi bâtisseur, qui a construit des routes, des cités, des fortifications, procédé en particulier à la célèbre reconstruction de Babylone, avec ses jardins suspendus, la bibliothèque de l'Esagil, qui comportait plusieurs milliers de tablettes qui résumaient le savoir encyclopédique de l'Antiquité, et la fameuse tour de Babel. S'il n'a pas été divinisé, Nabuchodonosor se mettait sur le même plan que le dieu Mardouk, et il a fait de Babylone une ville sainte, avec 43 temples principaux, dont 8 seulement ont été découverts jusqu'à présent, et dont la ziggourat, l'Etemenanki, est, avec l'Esagil, l'un des deux temples principaux. C'est la fameuse tour de Babel. Cette tour biblique n'est pas une légende. D'après l'historienne Josette Elayi, qui signe une biographie savante mais très accessible de Nabuchodonosor, en essayant de trier entre la vérité et la légende, cette tour mesurait entre 60 et 90 mètres de haut, sur sept étages, avec trois escaliers intérieurs, et elle se pensait comme le centre cosmique du monde. Le roi avait achevé sa reconstruction entamée par Nabopolassar, son père, car elle devait constituer un lien entre le ciel et le monde inférieur. Nabuchodonosor était aussi un passionné d'archéologie (déjà !) et il considérait que sa mission était de restaurer ou de reconstruire ce qui avait été défait par l'oeuvre du temps. Il citait le vieux code de Hammourabi, le code du monde, et partait à la chasse de tous les vieux temples que le sable avait recouverts mais qu'une tempête pouvait révéler aussi vite. La raison de cette attitude était plus profonde, plus philosophique, qu'on ne l'imagine. Les Anciens, et en particulier les Babyloniens, étaient convaincus que l'âge d'or était dans le passé. Dans leur vision pessimiste, l'humanité s'éloignait chaque jour un peu plus de la perfection de ses origines et la fonction du roi était de freiner l'oeuvre destructrice du temps (même si on savait qu'on ne pouvait l'inverser). Bref, le « c'était mieux avant » n'est pas une invention conservatrice contemporaine. Elle était au coeur de l'état d'esprit de ces Babyloniens du VIe siècle avant Jésus-Christ.
La fin d'un empire
Malheureusement pour lui, Nabuchodonosor n'a pas su assurer sa succession. Ce fut une grave erreur, car elle lui a interdit de donner souche, comme les Capétiens, à une longue dynastie. Son fils, Amel-Mardouk, ne se montra pas à la hauteur et très vite cet empire fut conquis par les Perses. Nabuchodonosor, qui était très dévot et priait chaque jour son dieu Mardouk, suppliait : « Puisse mon nom être mentionné avec ferveur dans l'avenir. »
Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? En dehors de la mauvaise image biblique et de Verdi - encore que tous ne font pas le lien entre Nabucco et Nabuchodonosor -, sans parler de quelques jeux vidéo, il reste surtout de ce grand roi des traces archéologiques et une immense bouteille de champagne de quinze litres qui a pris son nom. Après tout, après deux millénaires, ce n'est pas si mal !
nabuchodonosor
De Josette Elayi,
Perrin, 320 p., 22 euros.