L'AGEFI Quotidien - Édition de 7h
mardi 7 janvier 2025 - 06:00:00 GMT 1299 words, p. 8,9
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January 6, 2025 - L'AGEFI.fr

La politique monétaire de la BCE sera scrutée en 2025

Fabrice Anselmi

L'institution présidée par Christine Lagarde entre dans une période décisive. Certains estiment qu'elle est la seule à pouvoir soutenir la relance de l'économie en zone euro. Les gouverneurs plus restrictifs ne semblent pas de cet avis.

Alors que Donald Trump affûte ses menaces de nouveaux tarifs douaniers et que la Chine est susceptible de relancer son économie, l'année 2025 pourrait être un marqueur pour Christine Lagarde à la Banque centrale européenne (BCE). L'institution est en effet la seule à même de soutenir la croissance de la zone euro, alors les gouvernements français et allemands sont aux abonnés absents, incapables de mettre en _uvre rapidement les pistes du rapport Draghi sur la suppression des freins à l'activité et à la compétitivité européennes.

Pour les analystes plus accommodants, qui mettent en avant le différentiel de PIB avec les Etats-Unis depuis 2019 (+7,9% vs +2,5% en zone euro), il est temps de remettre la croissance à l'ordre du jour de la BCE, devant l'inflation même si son mandat reste centré sur cet objectif unique. Dans un monde plus protectionniste, il peut être intéressant de stimuler la consommation et l'investissement intérieurs, via des politiques de soutien au niveau budgétaire ou monétaire.

Débat autour du taux neutre ?

Dans les jours qui ont suivi la dernière réunion du Conseil des gouverneurs, la membre du directoire Isabel Schnabel avait confirmé que la banque centrale devrait continuer à réduire ses taux d'intérêt jusqu'à un «niveau neutre» qui ne stimule ni ne ralentit l'économie, mais de manière très «progressive». L'année 2025 devrait, selon elle, marquer le début d'une reprise de la consommation et de l'investissement, pour que l'économie européenne se rapproche de son potentiel de croissance ensuite. «Selon les analyses fondées sur des modèles, une expansion économique au cours des douze prochains mois est toujours beaucoup plus probable qu'une récession, malgré la perspective de nouvelles barrières commerciales qui assombrissent les perspectives économiques de la zone euro» , avait-elle indiqué le 16 décembre lors d'une conférence à Paris. Elle réaffirmait que les conditions financières ne lui semblent pas si restrictives, que le taux neutre est probablement remonté post-covid _ entre 2% et 3% en nominal _ avec le besoin d'engager de nouvelles transitions, et «qu'une part importante de la faiblesse actuelle de certains secteurs de notre économie est liée à des forces extérieures à la sphère de la politique monétaire» . Autrement dit : ce n'est pas du côté de la BCE qu'il faudra attendre un éventuel soutien en 2025.

Au même moment, dans un discours à Vilnius, la présidente Lagarde s'était voulue plus ouverte : «La politique monétaire actuelle est restrictive. Mais si les données à venir continuent de confirmer notre scénario de base, la direction à prendre est claire et nous prévoyons de baisser encore les taux d'intérêt (...). La composante persistante et commune de l'inflation (PCCI), qui a le meilleur pouvoir prédictif de l'inflation future, se maintient autour de 2% depuis la fin de l'année dernière» , avait-elle notamment déclaré. Revenant sur les récentes erreurs de projections sur la croissance, elle rappelait aussi que «la dynamique d'inflation des services a également fortement chuté récemment» , et que les recherches placent le taux neutre en zone euro plutôt entre 1,75% et 2,5% (en nominal). De quoi ouvrir la porte à plusieurs nouvelles baisses de taux de 25 points de base, de 2 à 5 selon les prévisionnistes, en partant du taux de dépôt actuel à 3%.

Depuis, les gouverneurs irlandais, Gabriel Makhlouf, et chypriote, Christodoulos Patsalides, ont estimé que l'institution de Francfort n'avait pas besoin de stimuler la croissance en procédant à de plus grandes baisses des taux (de 50 pb), ni en descendant avant une récession «au-dessous du taux neutre» , a estimé le second en le situant entre 1,5% et 3%. Fin décembre, leur collègue autrichien et très restrictif Robert Holzmann a même estimé ne plus voir «aucune autre hausse de taux d'intérêt pour le moment. Ce qui pourrait se produire, cependant, c'est qu'il faudra plus de temps avant la prochaine baisse des taux» , à cause de pressions inflationnistes venues des droits de douane de Donald Trump et pouvant déprécier l'euro - même si les études montrent un effet limité du taux de change. Ce à quoi le gouverneur grec Yannis Stournaras a répondu que «les taux de la banque centrale devraient tomber à environ 2% d'ici à l'automne» . Des baisses similaires à celles prévues par le gouverneur français François Villeroy de Galhau, les économistes et les investisseurs, qui voient la BCE assouplir sa politique monétaire à chaque réunion jusqu'à ce niveau mi-2025, d'après les marchés de swaps.

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Deux informations opposées sont venues enrichir le débat lundi 6 janvier. L'inflation allemande est remontée en décembre de 2,2% à 2,6% en taux annuel (2,9% pour le taux harmonisé HICP ; 3,1% pour l'inflation sous-jacente), au-dessus des prévisions (2,4%) et à un plus haut de onze mois à cause des services (4,1%) et de l'alimentation (2%). Les économistes de la BCE ont cependant publié une étude indiquant que la résilience exceptionnelle du marché du travail ne devrait plus durer car les facteurs ponctuels qui ont contribué à sa vigueur s'affaiblissent avec la stagnation de l'économie depuis un an. «L'emploi progresse généralement à un rythme environ deux fois inférieur à celui de la croissance du PIB réel, mais il a en fait dépassé la croissance du PIB depuis 2022» , précisent les auteurs, expliquant que cette performance exceptionnelle avait été permise par l' «augmentation des marges bénéficiaires» des entreprises mais que, après la «rétention de main-d'_uvre» ainsi opérée depuis 2022, «le marché du travail en zone euro devrait se rapprocher de sa corrélation historique avec la production» . Sans crainte d'une forte remontée du taux de chômage cependant.

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Revue stratégique à venir

Après une revue du cadre opérationnel de la politique monétaire en mars 2024, 2025 sera également l'année de la revue stratégique plus large sur la politique monétaire de la BCE. Mais pas pour tout revoir comme cela avait été l'ambition en juillet 2021, pour la première fois depuis 2003. Des équipes d'économistes ont été chargées d'étudier ce qui avait été mis en place quatre ans plus tôt en officialisant les quatre instruments de la politique monétaire : taux d'intérêt, «forward guidance», programmes d'achats d'actifs et opérations de refinancement à long terme (LTRO). Et de voir ce qui pourrait être révisé, «sans conditionner un instrument à un autre», précisait récemment François Villeroy de Galhau dans un discours, mais en tenant notamment compte du fait que les taux étaient alors encore négatifs ou proches de la limite de 0% («zero-bound zone»), des territoires qui ne devraient plus être explorés si l'inflation est repassée durablement au-dessus de son régime pré-covid.

Il ne devrait cependant a priori pas être question de revoir l'objectif d'inflation - depuis 2021 «symétrique» et «fixé à 2% à moyen terme» au lieu de «proche de mais au-dessous de 2%» auparavant -, ni d'introduire des projections médianes des gouverneurs sur les taux ou l'inflation comme aux Etats-Unis, bien qu'Isabel Schnabel ne se soit pas toujours prononcée contre cette dernière idée. Il ne serait pas non plus d'actualité de réfléchir à la publication des votes de manière transparente (par nombre ou par nom comme au Royaume-Uni) au sein du Conseil des gouverneurs, car ceux-ci pourraient sinon subir davantage de pressions politiques dans leurs pays respectifs.

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