De bonnes résolutions pour 2025
Jean de Saint-Cheron
Essayiste
Pour Noël, ma femme m’a offert le Dictionnaire historique de la langue française , chef-d’œuvre d’Alain Rey réédité l’année dernière dans un format compact en trois volumes (Le Robert, 2024), reprenant la version définitive voulue par le linguiste avant sa mort en 2020. M’interrogeant sur le sens de ma chronique hebdomadaire dans La Croix , je suis donc allé chercher dans ces très riches pages ce qu’avait désigné le mot « chronique » au cours des âges. L’étymologie remonte au grec kronika (« annales, recueil de faits historiques présentés selon l’ordre du temps »). La chronique concerne logiquement le temps, ou une période de temps.
Alain Rey relève donc qu’en français elle est d’abord, au Moyen Âge, la forme par excellence de l’écrit historique (on pense aux grands chroniqueurs, Joinville ou Froissart, témoins de leur siècle devenus écrivains immortels dans les siècles postérieurs). Plus tard, alors qu’à partir du XVe siècle l’œuvre historienne des chroniqueurs est remplacée par celle des mémorialistes, « chronique » change de sens. Ainsi le terme désigne-t-il au XVIIe un « ensemble de nouvelles vraies ou fausses qui se propagent en général oralement » , et Alain Rey de préciser que « ce sens, orienté vers la médisance, le ragot, est entré dans la phraséologie courante avec l’expression “défrayer la chronique” ». Première bonne résolution pour 2025 : faire mentir ce sens-là dans la colonne qui m’est généreusement réservée. Pas de ragot !
C’est seulement vers la fin du XVIIIe siècle que « chronique » prend le sens qui nous est le plus familier aujourd’hui : article de journal – plus tard étendu à des billets radiophoniques ou à un certain type d’émissions télévisuelles – consacré à « certaines nouvelles (chronique littéraire, 1790, théâtrale, 1819, politique, 1815) et à leur commentaire, en général par un chroniqueur attitré ». La mission qui nous est confiée, à nous autres chroniqueurs dans un journal, et plus spécifiquement dans l’espace « À Vif » de La Croix , est de faire vivre le « débat ».
Une fois cette consigne donnée, c’est à chacun, chaque semaine, de choisir le sujet qui lui permettra de nourrir et d’animer ce fameux « débat ». Mais avec qui débattons-nous, au juste ? Avec nous-mêmes ? Avec une entité nébuleuse qu’on pourrait appeler « opinion générale » ? Avec une catégorie de la population qui ne pense pas comme nous ? Avec les abonnés à La Croix , qui pourront faire part de leur franc désaccord ou au contraire de leur approbation dans le courrier des lecteurs ou les commentaires en ligne ? Je dois confesser que cela n’est pas si clair pour votre serviteur. Néanmoins, le Dictionnaire historique m’inspire une deuxième bonne résolution : ne jamais céder aux sirènes de la provocation facile, ou des analyses en toc, pour préférer l’humble « commentaire » de « certaines nouvelles », selon le sens rappelé par Alain Rey. Je veillerai donc à ne pas jouer les faux redresseurs de torts, bien conscient que les pauvres mots que je transmets chaque semaine à l’équipe du journal ne sauveront ni le monde ni le moindre ours blanc.
Enfin, et cela va bien avec ce qui précède immédiatement : je m’engage résolument à ne pas faire ce que je reproche à tant de commentateurs dans les médias, et qu’il m’est arrivé de faire moi-même à quelques reprises : parler de ce que je ne connais pas, ou pas mieux que n’importe quel pilier de comptoir (l’économie ou la géopolitique, par exemple). À ce titre, je me permets de relever que la première occurrence du sens contemporain de « chronique » concerne la chronique littéraire, ce qui n’est pas pour me déplaire. Voici donc la mise en garde de Proust (déjà citée ici) que je m’adresse en cette année nouvelle : « Ce que je reproche aux journaux, c’est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles. »