Le Monde
Culture, lundi 27 janvier 2025 524 words, p. 22
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January 25, 2025 - Le Monde (site web)

Théâtre

Les valses-hésitations d’Hélène et Ménélas

Le spectacle de Simon Abkarian s’empêtre dans sa relecture de « La Guerre de Troie »

Joëlle Gayot

Où est passée la grâce qui portait le geste de Simon Abkarian, lorsque, à l’automne 2024, au Théâtre de l’Epée de bois, à Paris, il faisait entendre, dans Ménélas rebétiko rapsodie , la plainte rageuse de Ménélas, guerrier grec quitté par sa femme Hélène pour le Troyen Paris ? Dernier volet du triptyque que l’auteur, metteur en scène et acteur consacre aux valses-hésitations du couple maudit, Nos âmes se reconnaîtront-elles ? n’a pas l’évidence de ce premier opus. Renouant plutôt avec l’affectation d’ Hélène après la chute (deuxième séquence de la trilogie), le spectacle s’empêtre dans ce qui était pourtant une belle raison d’être : la relecture, depuis les rives du regard féminin, d’une histoire légendaire énoncée jusqu’ici par le seul point de vue masculin.

Sous la plume de Simon Abkarian, les retrouvailles d’Hélène et Ménélas s’accomplissent sur fond de dévastation. Troie est tombée, Paris est mort, des centaines d’hommes ont été massacrés par les Grecs en une nuit sauvage. Dans ce monde de ténèbres, sur ces décombres d’une civilisation anéantie par la folie humaine, ne demeure que l’espoir d’une réconciliation entre l’homme et la femme. Lui toujours fou d’amour, elle en deuil de son amant. Lorsque Ménélas se présente à Hélène, il a les yeux bandés, pas elle. Il est aveugle, elle est lucide. La messe est dite. Elle ne pardonnera pas.

C’est vers cette rencontre finale que tend une représentation pavée de bonnes intentions, qui font rarement bon ménage avec le théâtre. Le « female gaze » en étendard, la pièce multiplie les connexions avec l’époque contemporaine. Extermination de peuples ou droit des femmes à disposer de leurs corps : Simon Abkarian distribue les bons et les mauvais points. A cette figure du mal qu’est Ménélas reviennent le discours pulsionnel et le goût du sang. A l’incarnation du bien que représente Hélène échoit la part du sensible et de l’intelligence.

Décor démesuré

On comprend que Marie-Sophie Ferdane ait eu envie de porter au plateau la parole d’une subjectivité émancipée qui assume ses choix et affirme sa liberté de pensée. Elle s’y montre cristalline, éloquente et lumineuse. Plus convaincante que son partenaire. D’habitude fin et subtil, Simon Abkarian déclame, en force, une langue lestée de grandiloquence plus qu’elle ne sillonne la poésie.

Dans un décor démesuré, le comédien arrive des coulisses. Une entrée sculpturale, en robe noire. Au centre, une estrade rouge en guise d’aire de jeu. L’acteur déroule ses phrases sans vraie respiration, sa profération à peine tempérée par l’apport de deux musiciens. Il donne l’impression de se débarrasser des mots pour quitter, en toute hâte, la peau d’un héros qui, lui-même, ne supporte plus ce qu’il est devenu.