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sport, lundi 6 janvier 2025 - 17:00 UTC +0100 1053 words

« L’âme de Nottingham Forest est toujours présente » : après les tréfonds de la troisième division anglaise, le club renoue avec son glorieux passé

Anthony Hernandez

Double champion d’Europe il y a quarante-cinq ans, le club du centre de l’Angleterre est en lice pour une qualification en Ligue des champions. Victorieux, lundi, face à Wolverhampton, il est revenu à hauteur d’Arsenal, dauphin de Liverpool dans le championnat anglais.

Nottingham Forest est-il en train de réussir le come-back le plus inattendu du football anglais ? Lundi 6 janvier, à l’occasion du dernier match de la 20e journée de Premier League, le club des Midlands, niché dans l’un des anciens cœurs industriels du pays, s’est imposé (3-0) face à Wolverhampton, revenant ainsi à hauteur d’Arsenal, dauphin de Liverpool.

S’il maintient son rythme (37 points en 19 matchs), « Forest » retrouverait la Ligue des champions en 2025, quarante-cinq ans après sa dernière participation, lors de la saison 1980-1981. Une performance impensable pour un club qui se bat pour son maintien depuis sa promotion au sein de l’élite, il y a deux ans, après de longues années de purgatoire.

Successivement 16e en 2023 puis 17e en 2024, les « Reds » avait débuté la saison passée avec un handicap de quatre points, sanctionnés en raison d’un déficit jugé excessif sur une période continue de trois ans. De retour en première division en 2022, Forest avait chamboulé son effectif à l’intersaison, battant le record anglais du plus grand nombre d’arrivées au cours d’une seule période de transfert (21 recrues pour 180 millions d’euros dépensés).

Ces déboires illustrent la politique parfois erratique du propriétaire du club, Evangelos Marinakis, un richissime homme d’affaires grec, qui a racheté le club en mai 2017. Ce fils d’armateur, originaire du Pirée, détient également le club le plus populaire de Grèce, l’Olympiakos. Personnage controversé, il a notamment été acquitté, en 2021, pour une affaire de matchs truqués dans son pays. Et, en septembre 2024, il a été interdit de stade pour cinq rencontres outre-Manche, pour avoir craché en direction des arbitres après une défaite à Fulham. Provocateur, il a affirmé que le geste était involontaire, provoqué par une bouche sèche liée à sa forte consommation de cigares.

Deux Coupes d’Europe des clubs champions

Bien avant cette embellie inattendue mais qui commence à durer, Nottingham Forest a déjà connu des heures de gloire. A une époque où les footballeurs avaient encore les cheveux longs, en 1979, la bande de l’entraîneur emblématique Brian Clough est sacrée championne d’Europe, devenant la troisième équipe – après le Real Madrid et l’Inter Milan – à remporter le trophée continental dès sa première participation.

Porté par son capitaine, John McGovern, et ses coéquipiers Peter Shilton, Trevor Francis ou Kenny Burns, Forest a réalisé le doublé européen, en 1980. Ce qui offre au club fondé en 1865 la particularité d’avoir remporté davantage de Coupes d’Europe que de titre de champion national : un seul en 1978, acquis directement après un séjour de cinq ans en deuxième division.

Les années 1980 et 1990 sont moins fastueuses pour Nottingham, qui se sépare rapidement de la majorité de ses héros pour apurer ses dettes. Son ultime coup d’éclat consiste, en 1995, en une troisième place en championnat et, l’année suivante, en une élimination en quarts de finale de Coupe de l’UEFA par le futur vainqueur, le Bayern Munich.

La suite est surtout marquée par deux courtes relégations en deuxième division, en forme d’avertissement, en 1993 et en 1997. A partir de 1999, Forest plonge dans l’antichambre de la Premier League, qu’elle ne retrouve qu’en 2022. Entre 2005 et 2008, le club connaît même la troisième division anglaise (League One), s’octroyant un triste record : être le premier vainqueur de la Ligue des champions à tomber aussi bas dans la hiérarchie nationale.

« La tradition d’un club mythique »

En mai 2017, Evangelos Marinakis rachète un club qui se morfond dans les tréfonds du Championship. Un an auparavant (en juin 2016), le Français Philippe Montanier était devenu le premier entraîneur non issu des îles britanniques de ce monument en péril. L’ancien coach du Stade rennais est recruté par l’entourage du milliardaire grec, déjà en passe de reprendre le club, grâce notamment à l’entremise d’un champion du monde 1998, Christian Karembeu, ambassadeur de l’Olympiakos.

Si l’expérience Montanier tourne court au bout de sept mois, elle a marqué le technicien normand. « J’ai adoré travailler là-bas, relate-t-il au Monde. Les gens au club sont adorables, la ville est agréable, le City Ground [le stade] et le public sont top. » « Heureux » de voir son ancien club « si bien classé » cette saison, l’entraîneur se remémore avoir « été présenté en conférence de presse entre les deux trophées de la Coupe d’Europe ». Et insiste : « On ressent l’histoire et la tradition d’un club mythique, à l’image de leur stade. L’âme de Forest est toujours présente, cela vous met la pression et vous frappe. »

A l’issue de leur victoire à Everton (2-0) lors de la 19e journée, les fans des Reds n’ont pas caché leur enthousiasme, dans un accès d’exubérance so british quand il s’agit de football. « Nous allons gagner le championnat », ont-ils chanté, en dépit du retard (9 points avant la rencontre de ce soir) de leurs protégés sur le leader, les autres « Reds », ceux de Liverpool.

Le Portugais Nuno Espirito Santo, révélé grâce ses résultats à la tête de Wolverhampton (de 2017 à 2021), est l’un des principaux artisans de cette renaissance. A 50 ans, l’entraîneur, né à Sao Tomé-et-Principe, ancienne colonie africaine du Portugal, a transformé une équipe moribonde, 17e du classement lorsqu’il a pris ses fonctions en décembre 2023.

Troisième meilleure défense (19 buts encaissés) derrière Arsenal et Liverpool, Nottingham Forest s’appuie sur le défenseur serbe Nikola Milenkovic, le gardien belge Matz Sels – ancien dernier rempart de Strasbourg –, le jeune milieu anglais Morgan Anthony Gibbs-White ou sur son buteur néo-zélandais Chris Wood (11 buts). S’ils sont encore loin de retrouver les cimes de l’Europe, ils rêvent d’imiter leurs glorieux prédécesseurs.

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