International
Les souverainistes européens font les yeux doux à Elon Musk
Alors que les partis majoritaires pressent la Commission d'agir contre les ingérences politiques du patron de X, leurs adversaires nationalistes se posent en défenseurs de la liberté d'expression.
Collomp, Florentin
From Maga to Mega : Make Europe great again ! » Une fois la mission accomplie à Washington, Elon Musk n'a pas fait mystère de son ambition pour le Vieux Continent. Son post sur son réseau social X, publié ce week-end, a donné du grain à moudre au débat organisé ce mardi au Parlement européen, réuni en plénière à Strasbourg. Les socialistes, qui en étaient à l'origine, souhaitaient intituler la session : « Elon Musk et les abus des réseaux sociaux : menaces pour la démocratie européenne. » À l'issue de tractations avec le Parti populaire européen (PPE, centre droit) et les trois groupes nationalistes et souverainistes, le nom d'Elon Musk a été retiré de l'ordre du jour, recentré sur la « nécessité de faire respecter le règlement sur les services numériques » (DSA), et sur « l'ingérence étrangère et les biais algorithmiques ». Cela n'a pas empêché que le tout nouveau conseiller du président américain pour « l'efficacité gouvernementale » soit au centre des discussions.
Depuis Davos, le chancelier Olaf Scholz a pris part au débat . « Chacun peut dire ce qu'il veut, même s'il est milliardaire. Ce que nous n'acceptons pas, c'est que cela soutienne des positions d'extrême droite » , a-t-il affirmé, s'attirant aussitôt une réponse méprisante de l'intéressé sur son réseau : « Shame on Oaf Schitz ! »
Si l'homme le plus riche du monde, désormais membre de l'Administration américaine, fait figure de repoussoir pour de nombreux élus européens inquiets de ses interventions récentes dans la vie politique britannique ou dans la campagne électorale en Allemagne, il compte aussi de nombreux amis au Parlement de Strasbourg. À l'instar du Chypriote Fidiyas Panayiotou. Dans son sweat-shirt blanc Gorillaz, cet indépendant de 24 ans a invité Mark Zuckerberg, patron de Meta, et Elon Musk à venir débattre devant l'Assemblée européenne des « graves menaces » de censure pesant selon lui sur les plateformes digitales. Cet influenceur élu en juin dernier doit son succès à une campagne de vidéos sur les réseaux sociaux, relayées par Elon Musk, qui lui a donné un coup de pouce notable en acceptant son défi de lui faire un « câlin » médiatisé.
Le Grec Emmanouil Fragkos, membre du groupe Conservateurs et Réformistes (ECR) de Giorgia Meloni, veut lui aussi inviter le propriétaire de X, de Tesla et de SpaceX à Strasbourg, et fait circuler une pétition en ce sens auprès des eurodéputés. Même au PPE, le premier groupe du Parlement européen, dont est issue Ursula von der Leyen, le Slovène Branko Grims milite pour octroyer à Elon Musk... le prix Nobel de la paix. « Au cours du troisième millénaire, il ne fait aucun doute que la plus grande contribution à la préservation et au respect constant du droit humain fondamental qu'est la liberté d'expression, et donc à la démocratie et à la paix, a été apportée par M. Elon Musk » , justifie-t-il dans un courrier à ses collègues. Les Patriotes pour l'Europe (PFE), le groupe présidé par Jordan Bardella, avaient tenté - sans succès - de le proposer pour le prix Sakharov pour la liberté d'expression, à l'initiative du Français Thierry Mariani (RN).
Sarah Knafo, élue Reconquête qui siège avec l'AfD allemande soutenue par Elon Musk au groupe Europe des nations souveraines (ENS), n'a pas participé au débat à Strasbourg. Elle s'était invitée la veille, avec son compagnon Éric Zemmour, à l'investiture de Donald Trump, puis au bal donné par X le soir même à Washington. Le 18 septembre, elle assurait sur le réseau social préférer « Elon Musk à Ursula von der Leyen » . « Les adversaires de Musk passent leur journée à insulter Musk sur Twitter tout en disant qu'il n'y a plus de liberté sur Twitter. C'est comique » , raille-t-elle.
Marion Maréchal, membre du groupe ECR de Giorgia Meloni, avait elle aussi fait le déplacement dans la capitale américaine, lundi. Pour elle, les procédures déclenchées par la Commission européenne sont « évidemment une enquête politique » contre l'entrepreneur américain . « Il y a manifestement les bonnes et les mauvaises ingérences : celles qui siéent à la gauche et celles venant de la droite » , fustige-t-elle. Le groupe ECR avait pourtant voté en majorité pour le DSA. Mais l'amitié proclamée pour Elon Musk de Giorgia Meloni - seule dirigeante européenne conviée à l'investiture de Donald Trump - pourrait changer la donne.
Les libéraux européens s'inquiètent de cette bascule et de cette OPA en cours sur la liberté d'expression. « Il y a une alliance délibérée entre le pouvoir de la Tech américaine, derrière Donald Trump, et l'extrême droite, pour vider de leur substance nos règles et nos valeurs européennes , s'inquiète Sandro Gozi, eurodéputé centriste (Renew). L'Union européenne est le seul obstacle au projet impérialiste de la droite américaine sur l'Occident. » Pour sa collègue Nathalie Loiseau, « le conflit d'intérêts devient manifeste dès lors qu'Elon Musk entre au gouvernement américain tout en ayant la possibilité de choisir ce que voit ou ne voit pas l'opinion » .
Après les ingérences russes ou chinoises, l'Europe est désormais sous pression de son allié traditionnel américain. Jusqu'ici, la Commission semble avoir peur de son ombre, se bornant à rappeler que les enquêtes suivent leur cours. Le groupe socialiste, un peu isolé, s'est autosaisi de « l'agenda de la résistance » à l'offensive américaine relayée par les partis eurosceptiques. « La seule chose que ces gens comprennent, c'est le rapport de force . Or, sans le marché européen, les Big Tech ne peuvent pas vivre » , martèle l'eurodéputée (Place publique) Aurore Lalucq, qui a saisi l'Arcom, l'autorité de régulation en France. L'Union européenne devrait selon elle s'inspirer de la décision de l'Administration américaine, qui a décidé d' « exproprier » 50 % du réseau social chinois TikTok pour qu'il se conforme à sa propre réglementation. Ou suivre l'exemple du Brésil, qui n'a pas hésité à suspendre X, et a fini par faire plier Elon Musk. F. C.