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Actualité Culture, dimanche 5 janvier 2025 731 words

Simon Abkarian, dramaturge des odyssées homériques et intimes

Camille Scali

Acteur au cinéma, comédien et metteur en scène au théâtre, Simon Abkarian réécrit les mythes d'Homère, traversés par la guerre et l'exil. Des échos à son histoire personnelle à découvrir au Théâtre des Amandiers de Nanterre dès le 16 janvier.

Simon Abkarian, 62 ans, a interprété une multitude de rôles complexes et travaillé autant au cinéma qu'au théâtre où, de longue date, il réécrit à sa manière L'Illiade et L'Odyssée. Le comédien et metteur en scène aux quatre Molières remanie le mythe d'Hélène et Ménélas à travers trois pièces de théâtre : Ménélas rebetiko Rapsodie,Hélène après la chute et Nos âmes se reconnaîtront-elles ? (1). La dernière partie du triptyque sera jouée au Théâtre des Amandiers de Nanterre dès le 16 janvier, avant une tournée au printemps.

Le récit évoque les retrouvailles entre le roi de Sparte Ménélas et sa femme Hélène, partie rejoindre le prince de Troie Pâris - qui l'enlève dans l'oeuvre d'Homère - et provoquant ainsi la fureur belliqueuse de son mari. À un échange amer entre Ménélas (Simon Abkarian) et Hélène (Marie-Sophie Ferdane), le dramaturge a préféré un dialogue sensuel, voire charnel. Il a voulu construire une narration éloignée de la « vengeance aveugle, qui frappe jusqu'à s'essouffler », comme il l'explique entre deux répétitions.

Depuis près de quinze ans, il s'inspire dans ses créations de la mythologie grecque, en particulier d'Homère, qu'il a découvert « tout petit ». « Il est intemporel, c'est le premier grand scénariste, estime-t-il. Ses mythes nous permettent de décoller de la réalité pour mieux y revenir. »

L'exil en coulisses

Le thème de l'exil traverse les pièces de Simon Abkarian comme celles d'Homère. Un écho à ses racines arméniennes ? Il s'en défend. « C'est le moteur du théâtre, assure-t-il. On y chante le paradis perdu, ou celui sur le point de l'être, comme celui dont on dispose. »

Le chant, la musique et le silence occupent d'ailleurs une place centrale dans son travail, continuant à ses yeux « la tragédie, là où les mots s'arrêtent ». Le triptyque est ainsi porté par des airs chargés d'exode et de résistance grecs (rébétiko), kurdes ou arméniens. Les musiciens kurdes Rusan Filzitek, joueur de saz (luth oriental), et Eylül Nazlier, chanteuse et instrumentiste, accompagnent Nos âmes se reconnaîtront-elles ?. Simon Abkarian les a choisis lui-même. « Les Kurdes savent ce qu'est la perte de leur terre », insiste-t-il.

Révéler la beauté et la cruauté par la guerre

La guerre tient également lieu de toile de fond aux créations de Simon Abkarian. Né à Paris, il part à l'âge de 9 ans à Beyrouth, capitale d'un Liban qui s'apprête à basculer dans la guerre civile. Le dramaturge relativise cependant l'influence du conflit sur son oeuvre : « Ça me travaille, mais on ne peut mesurer les répercussions d'un traumatisme sur soi », explique-t-il.

Bientôt à l'affiche d'une adaptation à l'écran du Quatrième Mur, roman de Sorj Chalandon sur le montage d'Antigone pendant la guerre civile libanaise (2), il se souvient d'avoir ressenti une certaine une indifférence face à cette dernière avant de connaître « les fermetures de frontières » et « le risque de se faire tirer dessus en sortant dans la rue ». « La guerre révèle l'âme : la noirceur, le meurtre mais aussi l'héroïsme et la beauté », relève-t-il. Avec elle, « on se sent menacé », et les choses du quotidien comme l'eau, le pain, les embrassades prennent une autre valeur.

Des souffrances connues par le peuple arménien, victime d'un génocide dont son grand-père fut le seul de ses ancêtres à avoir réchappé. Un peuple dont il défend la cause par des tribunes et des prises de parole, comme sur le conflit du Haut-Karabakh de 2020, mais aussi en incarnant le rôle de Missak Manouchian pour le réalisateur Robert Guédiguian (L'Armée du crime, 2009), ou, auparavant, un militant arménien pour Robert Kéchichian (Aram, 2002).

Ancien cordonnier en usine, a-t-il choisi le théâtre pour la catharsis qu'il permet ? « Rien n'est évident et, sinon, il faut arrêter de faire ce qui nous paraît l'être, tranche-t-il. Seule existe l'évidence de la faim et la soif. » Aux certitudes, Simon Abkarian préfère les « mystères à éclaircir ».

(1) Jusqu'au 2 février au Théâtre des Amandiers de Nanterre, puis en tournée dans toute la France le 8 avril à Villefranche-sur-Saône, le 6 mai à Agen et du 21 au 23 mai à Amiens.

(2) David Oelhoffen, Le Quatrième Mur, (2024), adapté du roman du même nom de Sorj Chalandon (Grasset, 2013), sortie prévue le 15 janvier.

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