La Montagne
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IG, dimanche 12 janvier 2025 1049 words, p. Brive-25
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Une intelligence au service de la paix, du progrès social et déjà de l'ébauche d'une entité europenne

L'humanité faite homme

Jaurès, comme de Gaulle, est devenu une figure nationale dont tous les politiques se réclament, à gauche comme à.. droite. Et, comme pour le Général, son exemple est plus cité que suivi Les conjonctures ne sont pas les mêmes, les hommes politiques non plus. Les idées et les ambitions ont perdu en hauteur de vue. Celles de Jaurès, tendues vers le progrès social et le pacifisme, scrutaient l'avenir au-delà des frontières.

L'historien Jean-Numa Ducange, spécialiste des gauches, en a repris les linéaments qui ont vu le XIX e siècle déclinant mourir dans les tranchées du XX e. « De son vivant, relativise-t-il, Jaurès a eu sa part de détestation, notamment à droite. Mais son enterrement a été le premier moment d'union nationale. Et son entrée au Panthéon, le 23 novembre 1924, dix ans à peine après sa mort, dit l'intention de la République, la III e alors, d'en faire une personnalité reconnue de tous les Français. »

Si son assassinat par le militant nationaliste Raoul Villain, le 31 juillet 1914 au soir, au Café du Croissant, rue Montmartre, à deux pas du siège de son journal, L'Humanité , et à trois jours du début de la Première Guerre mondiale, l'a tragiquement consacré au regard de l'histoire, ses écrits, nombreux, résistent, eux, au regard du présent.

Hugo

« Jaurès, souligne l'historien, est un intellectuel, nourri de philosophie et d'histoire. Il est sans doute le dernier des hugoliens. Il a été élu député à 26 ans, en 1885, l'année de la disparition de Victor Hugo dont il partageait le rapport à la politique bien que celle-ci se se professionnalisât déjà. Trois autres penseurs l'ont inspiré : Marx pour l'économie, Michelet pour le lyrisme et Plutarque pour l'Antiquité grecque et romaine. Son implication décisive aux côtés d'Aristide Briand dans l'adoption de la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État a fini d'asseoir sa postérité. »

Cette postérité en fait une valeur sûre des discours politiques, fût-ce à rebours de ses engagements : « Le problème dans cette oeuvre immense et foisonnante, note Jean-Numa Ducange, est qu'on peut y trouver tout et, avec beaucoup de mauvaise foi et d'omissions, son contraire à l'exemple du régime de Vichy ou de Sarkozy ! »

Le premier ou, c'est selon, le dernier de ses engagements a été le pacifisme. « Né à Castres en 1859, rappelle l'historien, Jaurès a entendu les échos de la guerre franco-allemande de 1870-1871. D'où son adhésion, pour en éviter une nouvelle, à la Deuxième Internationale. Fondée en 1889, celle-ci rapprochait notamment les militants allemands et français. Et, bien que ce ne fût pas son idée première, il n'écartait pas un recours à la grève générale pour parvenir à ses fins pacifistes. Il croyait aussi en la possibilité d'un arbitrage international, en l'émergence d'une instance supranationale à l'image de ce que sera la Société des Nations créée après la Grande Guerre. »

Socialisme juridique

Le progrès social a été la deuxième grande cause de sa vie : « D'abord et dès 1885 député républicain mais plus à gauche que Jules Ferry, poursuit le chercheur, Jaurès, issu d'un milieu plutôt bourgeois et conservateur, sera ensuite, à partir de 1893, l'élu des mineurs et des verriers de Carmaux ainsi que des paysans du Ségala tarnais. À la Chambre des députés, il s'inscrit dans le socialisme juridique, défendant l'extension des droits, y compris spéciaux pour les ouvriers, quand d'autres, les marxistes notamment, les dénoncent comme relevant de la superstructure capitaliste. Il s'emploie, pour ce faire, à rassembler la gauche et à élargir son spectre parlementaire avec la création d'un nouveau parti spécifique aux ouvriers. »

La SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière) surgit en 1905 dans un paysage politique où le Parti radical, alors dominant à gauche, regarde plus du côté des clochers que des usines. Ardent défenseur de la laïcité, Jean Jaurès voulait aussi améliorer le sort des classes populaires.

« Jaurès, insiste Jean-Numa Ducange, ne voulait pas constituer une aile gauche au sein de l'omnipotent Parti radical, largement représenté par des notables. Aujourd'hui de centre-gauche, cette formation est une force d'appoint d'un Parti socialiste qui a succédé, en 1969, à la SFIO. C'est avec le plus marxiste Jules Guesde qu'il a fondé celle-ci. La question sociale interroge encore la gauche. Qu'on pense, au sein du PS, à l'opposition entre Olivier Faure et Carole Delga ou, au sein de LFI (La France insoumise) entre François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon. Qui doit voter pour nous ? Qui devons-nous représenter ? D'autres questions l'internationalisme, le racisme, l'antisémitisme la traversent toujours. »

Vie itinérante

Sans oublier celle des alliances : compromis ou compromissions ? « Idéaliste pragmatique, reprend l'historien, Jaurès était favorable à un rapprochement de circonstance avec le Parti radical. Il était prêt à des alliances opportunes, mais pas opportunistes, pour défendre la paix, le progrès social et la laïcité. »

Aux élections législatives de 1902, le Bloc des gauches formé des républicains modérés, des radicaux et des socialistes a ainsi pu contrer la droite conservatrice et nationaliste galvanisée par la crise de l'affaire Dreyfus.

L'international est le troisième chantier de sa vie itinérante. « Jaurès, pointe l'historien, éprouvait une attraction/répulsion envers l'Allemagne. Il admirait le grand pays de philosophie, mais n'oubliait pas l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine. Il avait surtout ce sentiment d'appartenance à une culture commune à tout un continent pourtant ravagé par les guerres. Précurseur, il rêvait d'une instance combinant supranationalité et souveraineté nationale. L'Europe est également une question qui agite la gauche, mais aussi la droite. »

C'est à toute vapeur que ce germanophone bercé par l'occitan a parcouru le monde. « Les archives de police, relève Jean-Numa Ducange, témoignent de ses fréquents voyages, de son Tarn natal à Paris et sur tout le Vieux Continent. Jaurès est de la civilisation du rail. C'est en train qu'il est allé, pour convaincre, à la rencontre de ses électeurs comme d'autres responsables socialistes, mais aussi de dirigeants hostiles à ses opinions. Le train est propice aux échanges et à la réflexion. En bateau, il s'est rendu en Argentine pour en découvrir les idées socialistes. »

Cette version latine ne pouvait pas ne pas intéresser un si fin lettré...

Lire. Jean-Numa Ducange, Jean Jaurès , Éditions Perrin, 2024, 25 ?.

Ardent défenseur de la laïcité, Jean Jaurès voulait aussi améliorer le sort

Des classes populaires ,,

Jérôme Pilleyre

Cet article a également été publié dans les éditions suivantes : Creuse, page 25; Cantal, page 24; Montluçon, page 24; Moulins, page 24; Vichy, page 24; Issoire - Sancy -Haute-Loire, page 24; Clermont-Ferrand, page 24