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Économie, lundi 20 janvier 2025 1188 words
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January 23, 2025 - Courrier International

L'expulsion massive des immigrés clandestins nuirait gravement à l'économie américaine

The Economist

Non, les migrants sans papiers ne prennent pas le travail des Américains. Oui, ils consomment, paient des impôts et ne perçoivent pas de prestations sociales. Bref, ils coûtent peu et rapportent beaucoup à l'économie du pays, rappelle "The Economist".

Une fois Donald Trump installé à la Maison-Blanche, le 20 janvier, les expulsions d'étrangers feront partie des priorités. Le président élu a promis la plus grande vague de reconduites à la frontière que le pays ait jamais connue, avec des descentes chez les employeurs et la fin des programmes Parole [qui permettent d'accéder ou de rester temporairement aux États-Unis dans certaines circonstances exceptionnelles].

Stephen Miller, son futur chef de cabinet adjoint, et Tom Homan, son "tsar des frontières", souhaitent mobiliser l'armée pour faire le boulot. Donald Trump a évoqué l'opération Wetback [littéralement "dos mouillé", expression raciste faisant allusion à la traversée illégale du Rio Grande par les immigrés mexicains], une campagne d'expulsions controversée lancée durant la présidence de Dwight Eisenhower, dans les années 1950, qui avait entraîné le renvoi d'environ 1,1 million de personnes.

Quelles pourraient être les conséquences économiques d'un tel durcissement de la politique migratoire ? D'après le Pew Research Center, un groupe de réflexion, quelque 11 millions d'immigrés vivaient clandestinement aux États-Unis en 2022, dont 8,3 millions étaient insérés sur le marché du travail. Et ces chiffres ont certainement augmenté depuis : il y aurait désormais 10 millions de travailleurs en situation irrégulière, estiment les spécialistes, soit 6 % de la population active.

La plupart d'entre eux travaillent dans la construction, l'agriculture ou la restauration, et près de la moitié ont élu domicile en Californie, en Floride, dans l'État de New York ou au Texas. Les répercussions pour l'économie américaine de l'expulsion de la totalité - ou, plus vraisemblablement, d'une partie - de ces immigrés peuvent être évaluées à l'aune de trois paramètres : l'emploi, les prix à la consommation et les finances publiques.

On croit souvent que l'expulsion des travailleurs clandestins profite aux travailleurs américains. Stephen Miller affirme ainsi qu'une campagne massive de reconduites à la frontière entraînerait des créations d'emplois pour les Américains et une hausse des salaires. Mais, en réalité, la situation est différente selon que les travailleurs en situation irrégulière remplacent la main-d'oeuvre indigène ou la complètent - comme il semble que ce soit effectivement le cas. Durant la présidence de Barack Obama, les expulsions ont provoqué une hausse du chômage parmi les Américains, à raison d'un emploi perdu pour onze expulsions, selon une étude menée par Chloe East, de l'université du Colorado à Denver, et ses collègues.

Un constat corroboré par une publication du groupe de réflexion Peterson Institute for International Economics : l'expulsion de 1,3 million de travailleurs clandestins se solderait par une hausse durable du chômage, à hauteur de 0,6 %. Le coup serait encore plus rude pour la production. Michael Clemens, de l'université George Mason [en Virginie], explique :

"Les immigrés en situation irrégulière ne viennent pas seulement combler un besoin de main-d'oeuvre spécifique. Ils sont un rouage indispensable de la chaîne de production."

Car il faut bien que quelqu'un emballe les homards qui finiront en salade de la mer et cueillent les concombres des salades grecques, des tâches que les Américains sont peu disposés à exécuter aux salaires en vigueur. Durant la pandémie de Covid-19, le Conseil national des employeurs de l'agriculture avait fait une enquête pour déterminer le nombre d'Américains sans emploi qui seraient prêts à accepter l'un des quelque 100 000 postes saisonniers proposés aux travailleurs étrangers via un programme fédéral. Au plus fort de la crise, seuls 337 avaient postulé. Compte tenu du taux de chômage chez les Américains âgés de 25 à 54 ans, qui n'a jamais été aussi bas depuis dix ans, et du vieillissement de la population, la pénurie de main-d'oeuvre n'est pas près de se résorber.

Le resserrement de l'offre entraîne généralement une hausse des prix, à des degrés variables selon les secteurs. L'agriculture y est particulièrement sensible. D'après le Migration Dialogue, un programme de l'université de Californie à Davis, près de 1 million des 2,5 millions d'ouvriers agricoles aux États-Unis sont en situation irrégulière. Ils sont notamment indispensables dans les élevages laitiers et avicoles, qui ne peuvent pas avoir recours aux étrangers ayant un visa de travailleur saisonnier.

Les robots ne savent pas récolter les fraises

La disparition de cette main-d'oeuvre pourrait être compensée par une accélération de l'automatisation, par le recrutement de travailleurs étrangers ou par des importations. Dans les années 1960, l'éviction de 500 000 ouvriers agricoles intérimaires venus du Mexique avait ainsi entraîné la mécanisation du secteur, rappellent Michael Clemens, Ethan Lewis, de Dartmouth College, et Hannah Postel, de l'université Duke. Mais quand il s'agit de récolter des fraises, les robots ne font pas le poids face aux humains. Aujourd'hui, le durcissement de la politique migratoire se traduirait par une hausse des coûts ou par un déficit commercial plus important - deux perspectives désagréables pour le gouvernement Trump.

Le coût du logement pourrait également augmenter. Contrairement aux entreprises agroalimentaires, qui peuvent parfois miser sur l'automatisation et sur les importations, le secteur du bâtiment a peu de solutions pour remplacer les quelque 1,5 million d'ouvriers en situation irrégulière, qui représentent environ un sixième des effectifs du secteur, et même près d'un tiers dans certaines branches, comme la pose de cloisons sèches, la construction à ossature et la couverture. Le secteur subit déjà la hausse des taux d'intérêt ; de nouvelles perturbations de la chaîne d'approvisionnement pourraient amplifier les pénuries.

Du reste, bien que la multiplication des expulsions devrait s'accompagner d'une baisse de la demande de logements, pendant l'ère Obama, cela n'avait fait qu'aggraver la situation, ont récemment établi Troup Howard, de l'université de l'Utah, et ses collègues. La contraction de la demande n'avait pas suffi, à l'époque, à contrebalancer le recul de l'offre engendré par la perte de main-d'oeuvre - d'autant que les immigrés clandestins achètent rarement des logements neufs.

À tout cela vient s'ajouter le coût budgétaire. Les expulsions massives n'influeraient pas seulement sur l'offre de main-d'oeuvre, elles pèseraient également sur les finances publiques. Car si les travailleurs sans papiers ne bénéficient pas de la plupart des prestations sociales, comme les aides de l'Obamacare [permettant de financer la couverture santé] ou les logements sociaux, ils contribuent en revanche à remplir les caisses de l'État par le biais de la taxe sur les ventes [prélevée sur les achats] et des cotisations pour la sécurité sociale et l'assurance médicale. Beaucoup d'entre eux paient également des impôts fonciers de manière indirecte, en payant leur loyer.

Les conséquences budgétaires ne s'arrêtent pas là. L'apport de main-d'oeuvre immigrée nourrit la production, avec, à la clé, un accroissement des revenus imposables et des bénéfices des entreprises. D'après le Bureau du budget du Congrès américain, la récente vague migratoire devrait permettre de réduire les déficits fédéraux de 900 milliards de dollars [875 milliards d'euros] de 2024 à 2034, grâce à la hausse des recettes fiscales et du PIB. La disparition d'un grand nombre de ces travailleurs viendrait raboter l'assiette fiscale, sans réduire pour autant les dépenses publiques - la recette imparable pour un budget déséquilibré.

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