Le Figaro, no. 24997
Le Figaro, mardi 7 janvier 2025 981 words, p. 11

International

À Hongkong, les écoliers planchent sur la « pensée de Xi Jinping »

Les discours du président chinois font désormais partie des programmes scolaires, un nouveau signe de la reprise en main de l'île par Pékin.

Falletti, Sébastien

La « pensée de Xi Jinping » a fait sa rentrée dans les salles de classe au pied du Victoria Peak. Pour la première fois, les écoliers de Hongkong devront étudier les discours du président chinois cette année, une nouvelle étape dans la reprise en main idéologique de l'ancienne colonie britannique par la Chine communiste. Un recueil des 220 discours du secrétaire général du Parti, intitulé La Modernisation de la Chine, sera distribué aux établissements, a discrètement annoncé le bureau d'Éducation, en septembre. La ministre de l'Éducation, Christine Choi Yuk-lin, a tenu le 25 novembre une session à Kowloon avec des chefs d'établissement pour les appeler à « lire et pleinement comprendre » ce nouveau manuel scolaire obligatoire, lequel doit « renforcer l'éducation patriotique » sur le territoire semi-autonome, selon le communiqué en chinois.

Au pied des gratte-ciel de Central, une étape vient d'être encore franchie dans la mise au pas du système éducatif, l'ambition étant de façonner une nouvelle génération de « patriotes » dans la cité de 7 millions d'habitants, longtemps rétive à Pékin. « La pensée de Xi Jinping a bien été ajoutée au programme. Désormais, la Révolution culturelle ou le Grand Bond en avant sont également des sujets sensibles » , confirme au Figaro Colin, professeur d'histoire de 57 ans, qui réclame l'anonymat. Ce travail de sape engagé depuis une décennie, et auquel longtemps la société civile avait résisté, s'accélère spectaculairement depuis 2020 et la loi sur la sécurité nationale (NSL), imposée par Pékin.

Les drames de l'époque maoïste comme la geste nationaliste du président chinois sont devenus des terrains minés pour les enseignants, à la merci d'un enregistrement secret sur smartphone avant d'être dénoncé auprès des autorités. « Avant, le développement de l'esprit critique était une priorité et on pouvait discuter de sujets politiques à condition de confronter les différentes positions, mais désormais on doit seulement mettre en valeur les « bonnes choses ». Par exemple, dire que les nouvelles routes de la soie chinoises apportent de grands bénéfices aux pays du Sud. La récitation par coeur prend le pas sur le raisonnement » , ajoute l'enseignant, mis à pied après des dénonciations anonymes dans une école du sud de l'île. Le très British Education Bureau en est venu à supprimer en 2020 le sujet des « Arts libéraux » du programme, visant à favoriser la réflexion, au profit d'un obéissant cours d'éducation « à la citoyenneté » .

« La pensée de Xi sur le socialisme aux caractéristiques chinoises » est inscrite dans la Constitution chinoise depuis 2018 - elle fait figure de bible sur le continent - et maintenant s'impose dans la plaque tournante financière asiatique dont les aspirations démocratiques ont été brutalement mises au pas en 2020.

À leur tour, les élèves hongkongais sont priés d'apprendre, comme sur le continent, ce corpus idéologique à la gloire de la « nouvelle ère » , en pleine tourmente géopolitique face à l'Amérique de Donald Trump. « Après des décennies de réforme et d'ouverture, la situation internationale et intérieure à laquelle notre pays est confronté a subi de grands changements et notre sécurité nationale est confrontée à de nouvelles menaces. À cette fin, le président Xi Jinping a proposé le « concept global de sécurité nationale » pour prévenir les risques » , explique doctement un nouveau manuel distribué aux lycéens, intitulé Éducation à la sécurité nationale . L'ouvrage illustré de photographies part des aspirations de la démocratie grecque pour aboutir aux ors staliniens du Grand Hall du peuple, chambre d'enregistrement du régime, place Tiananmen.

L'éducation est depuis longtemps un champ de bataille entre Pékin et les partisans de la liberté dans le territoire qui devait garder une « large autonomie jusqu'en 2047 » , selon le traité conclu avec Londres lors de la rétrocession à la Chine en 1997. Le sujet avait rendu célèbre un adolescent du « mouvement des parapluies » , devenu depuis une icône mondiale. Dès 2012, Joshua Wong avait rallié 100 000 manifestants pour dénoncer le projet « d'éducation patriotique » des autorités, signalant la défiance de la jeunesse d'alors à Pékin. Un exploit aujourd'hui impossible alors que la cause démocratique a été écrasée. Wong vient d'être condamné à cinq ans de prison ferme, le 19 novembre, par le tribunal à Kowloon, pour tentative de « subversion » contre l'état.

La controverse avait éclaté au grand jour en 2020 quand les autorités avaient retoqué une question d'histoire délicate prévue au « Diploma of Secondary Degree » (DSE), le baccalauréat local. « Le Japon a-t-il apporté plus de bien ou de mal à la Chine entre 1900 et 1945 ? » , avaient osé demander les examinateurs, pour tester la capacité de raisonnement des lycéens. Une ligne rouge aux yeux des autorités, pour lesquelles la colonisation japonaise n'a pu apporter que des « maux » à l'empire du Milieu.

Aujourd'hui, un nouveau Hongkong docile émerge, en voie de sinisation accélérée grâce à l'arrivée massive d'immigrants venus du continent. Un « grand remplacement » est à l'oeuvre, qui voit des cols blancs et bleus débarquer, en famille, de Chine grâce à des programmes de visas préférentiels, quand nombre de Hongkongais attachés aux libertés ont choisi l'exil - plus de 144 000 sont partis au Royaume-Uni. « Beaucoup de nouveaux arrivants ne parlent ni cantonais ni anglais, mais seulement le mandarin. Les parents sont soumis à la propagande et n'hésitent pas à dénoncer les enseignants jugés critiques. Cela crée une ambiance très lourde de terreur blanche ! » , juge Colin, devenu tuteur privé, après un post Facebook où il avait osé critiquer la répression policière contre les manifestants prodémocratie.

« Le temps joue en faveur de la Chine. Mes étudiants étaient dans les manifs de 2019, mais, dans dix ans, la nouvelle génération aura subi un intense lavage de cerveau et sera nettement plus obéissante » , prédit une enseignante d'une université hongkongaise, qui réclame elle aussi l'anonymat. Le recrutement de l'Education Bureau privilégie les enseignants jeunes, jugés moins politisés que leurs devanciers. S.F.