CULTURE/
«Castor et Pollux» au palais Garnier : peut mieux frères
Lucile Commeaux
CULTURE/
L'exigence de l'interprétation musicale de Teodor Currentzis ne permet pas de faire oublier la paresse de la proposition scénique de Peter Sellars.
S ur le papier, on avait bien quelque doute concernant l'appariement des deux principaux intéressés. D'un côté Peter Sellars, metteur en scène américain sur le retour, toujours souriant, houppette grise et veste colorée d'oiseau rare ; de l'autre, Teodor Currentzis, chef grec adopté par la Russie, muscles saillants sous le débardeur noir, cheveux gominés et mine grave, mi grand-prêtre mi-méchant dans un James Bond. Deux artistes aussi dissemblables que les jumeaux Castor et Pollux, dont l'un est humain et l'autre dieu. De fait, le spectacle ne prend jamais vraiment, et c'est Rameau qu'on perd entre la fausse extravagance de l'un, et la vraie sobriété de l'autre. Au palais Garnier, en cette soirée d'avant-première où se bousculent de très jeunes gens – une fois n'est pas coutume –, des meubles moches encombrent le plateau transformé en un appartement modeste dont les cloisons auraient disparu. En fond de scène, des vidéos montrent des zones industrielles, des immeubles décatis, des cieux nocturnes ou encore la Terre vue de l'espace. Les quelques héros de cette fable mythologique adaptée par le maître du baroque français s'y lamentent et s'y déchirent, alors que repose le corps inanimé de Castor, mort au combat, et que pleure sa fiancée, Télaïre. Pollux, lui, est tout à sa vengeance, mais aussi tout à son amour pour la jeune femme, auprès de laquelle il voudrait bien remplacer son défunt jumeau. Mais Télaïre ne l'entend pas de cette oreille et enjoint son beau-frère à négocier auprès de son père, Jupiter, la résurrection de son amant, une quête dangereuse qui mènera Pollux aux Enfers. Devant ce décor dont on a du mal à raccrocher les diverses inspirations, des danseurs de hip-hop – décidément une des grandes tartes à la crème des adaptations soi-disant contemporaines – miment toutes les binarités à laquelle la mise en scène réduit l'ouvrage de Rameau : amour-guerre, enfersplaisirs, Castor-Pollux, masculin-féminin, mortelsimmortels… Une non-idée qui ne produit pas grand-chose, et qui n'est pas la seule malheureusement dans cette mise en scène dont le côté foutraque masque mal la pauvreté, voire la grossièreté. Difficile, dans ces conditions, de se concentrer sur la fosse, où pourtant Teodor Currentzis et ses musiciens font des merveilles, insufflant à la partition de Rameau cette manière si singulière et détonante : un son sec et vif tout en contrastes, une clarté des timbres qui confine à l'étrange, et qui plonge parfois l'oeuvre dans des pianissimi particulièrement déchirants et inattendus, dans des passages enlevés de ballet. Un hiatus de plus en plus large se creuse entre l'exigence de l'interprétation musicale et la paresse de la proposition scénique, dont malheureusement les chanteurs – tout excellents qu'ils soient, notamment Marc Mauillon en Pollux – font les frais, qui d'ailleurs trouvent mal leur place dans le bazar du plateau. On a finalement l'impression, au milieu de ce jeune public qu'on sent attentif mais dubitatif, d'assister à deux manières de faire de l'opéra, dont l'une serait la fossoyeuse, et l'autre la relève.
Castor et Pollux de Jean- Philippe Rameau, m.s. Peter Sellars et dir. mus. Teodor Currentzis. A l'Opéra Garnier (75009) jusqu'au 23 février.