CAMILLE CHAMOUX
« Je ne compte plus les fois où je me suis bagarrée avec des mecs »
PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE SIMON-MICHEL
Longtemps accro aux joutes verbales et physiques, l’actrice a peu à peu appris à dompter sa colère pour s’ouvrir à d’autres émotions.
On a tous une Camille Chamoux dans notre vie. Parfois hilare, souvent – trop – en retard (elle a même oublié de récupérer sa fille à la crèche). Celle qui préfère l’autodérision à la transmission de ses émotions. « Mes questions nombrilistes, je les réserve à mon psy. » Bonne élève scolarisée dans les établissements privés du 16 e arrondissement de Paris, l’ado, fille de bonne famille de droite néolibérale, s’est toujours opposée aux interdictions et injonctions imposées par la société « normalisée ». Adepte de la castagne physique ou verbale, elle a récemment découvert la fragilité du corps et des émotions. Des sentiments inconnus, probablement enfouis par une colère prégnante et une impulsivité qui l’ont entraînée dans une décadence inconsciente. Cette prise de conscience sur la santé mentale et physique est le thème de son nouveau one-woman-show, Ça va ça va . Allez hop, un p’tit check-up !
Votre santé mentale, ça va ça va ?
Si je suis pourtant un individu avec une solide santé mentale, j’ai découvert la notion de fragilité ces trois dernières années. Récemment, un vieux sage m’a dit : « Tu sais, Camille, dans ce métier, c’est chômage ou surmenage, il n’y a pas de demi-mesure. »
Mais dans les deux cas, c’est source importante de stress.
Absolument, car il faut savoir gérer. Le burn-out est vraiment la grande affaire du XXI e siècle occidental. Nous sommes des cafards avec un gros cerveau. Ce qui sauve le cafard, c’est qu’il ne le sait pas. Et en même temps, qui suis-je pour dire que le cafard ne sait pas qu’il est cafard ? Mais bon, a priori, le cafard n’est pas complètement lucide sur sa disposition de cafard. L’homme, lui, est 100 % lucide sur sa condition d’homme.
Un événement en particulier a fait ressurgir cette fragilité ?
Plutôt une alternance d’à-coups émotionnels qui ont créé chez moi des dispositions inédites, de grandes porosités à tout genre d’émotion et avec des grands moments de vide.
C’est peut-être une dépression !
Plutôt une anxiété très forte. Et pourtant, toutes les femmes de ma famille, exceptée ma mère, sont ou étaient dans un spectre large de maladies mentales. Schizophrénie, dépression plus classique ou bipolarité.
Vous sentez-vous comprise ?
Je me sens plutôt écoutée. Comprise, c’est encore autre chose. Mais je pense qu’en tout cas j’ai enfin trouvé mon langage.
Passons à votre santé physique. Dans votre one-woman-show, vous racontez : « J’ai passé toute la première partie de ma vie à oublier mon corps. J’ai échoué sur des lits en black-out, en coma éthylique… »
Je refusais cette notion d’entrave car, pour moi, le corps n’était pas un frein. C’est un peu cliché mais une nana n’a pas le droit de trop boire ou d’avoir des histoires d’un soir… J’ai réalisé récemment que je devais faire de ce corps un allié. Et avec la maturité et la maternité, je réussis peu à peu à calmer mes impulsivités.
Cette impulsivité vous a-t-elle joué des tours ?
J’ai eu une relative violence dans l’expression, dans la confrontation. J’ai giflé ma prof de bio quand j’étais en seconde, ce qui m’a valu un conseil de discipline. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis bagarrée avec des mecs qui me sifflaient dans la rue alors que je faisais le quart de leur taille. Un soir, je me suis quand même fait bastonner par cinq gamins de 16 ans à 2 heures du mat’ parce qu’ils m’avaient insultée. À l’époque, j’étais aveuglée par la colère et donc je ne mesurais pas l’adversité. Aujourd’hui, je ressens toujours de la colère, mais je la soigne en la racontant dans mes spectacles, de façon drôle, de préférence.
Vous avez analysé cette colère en vous ?
Les codes sociaux trop prononcés ou les jugements excluants pour ma personne m’ont toujours semblé insupportables. Comme j’ai toujours été dure avec moi-même, à décortiquer tous mes défauts, je m’accorde le droit de dire ce que je pense. Je suis une inlassable guerrière de l’échange verbal.
Une phobique des conventions sociales qui a quand même réussi hypokhâgne et khâgne !
Pour les mêmes raisons que j’évoquais avant, ces années de classes préparatoires ont été terribles. J’avais de l’eczéma partout. J’en avais assez de ne pas être prise au sérieux, d’être juste une ado rebelle, c’était la seule façon d’acquérir les armes suffisantes pour répondre au paternalisme et à l’exercice du pouvoir. D’accumuler des connaissances qui me permettront de répondre, de savoir, de maîtriser la pensée.
Vous faites allusion à vos parents aux idées politiques libérales et à votre éducation dans le 16 e arrondissement de Paris ?
Je me suis construite en opposition à mes parents et mes deux grands frères, par rejet de mon milieu social et idéologique.
Aujourd’hui, j’ai réussi à créer un dialogue avec eux. Et puis surtout, je ne parle plus de politique avec eux. Ni avec qui que ce soit.
Pourtant, vous étiez très proche de votre grand-père paternel, François Chamoux, figure d’extrême droite.
Au-delà de ses idées politiques et de son soutien à la colonisation, il était surtout un formidable archéologue et historien. Nos relations étaient purement intellectuelles. Il vivait dans la civilisation hellénistique et m’a transmis sa passion pour la Grèce. Ce n’est pas un hasard si mon mec, le père de mes deux enfants, est d’origine grecque et si j’ai appelé ma fille Apollonia, sans savoir que c’était le nom d’une ancienne cité grecque située en Illyrie, l’actuelle Albanie, exhumée par mon grand-père.
C’est comment, le dimanche de Camille Chamoux ?
J’ai levé le pied sur mon hyperactivité délirante imposée à mon mec et à mes enfants. Dimanche dernier, je me suis réveillée à 9 heures, j’ai préparé du porridge, ma nouvelle passion, et j’ai mis les enfants devant la télé avant de me recoucher jusqu’à midi. Et l’après-midi, basket en famille au square de la Roquette dans le 11 e arrondissement. ■
Ça va ça va , aux Bouffes Parisiens. Jeudi, vendredi et samedi, du 9 au 18 janvier.
Je me suis construite en opposition à ma famille, par rejet de mon milieu social et idéologique
SES COUPS DE CŒUR
Quand elle n’est pas à l’école pour récupérer ses enfants, elle aime lire tranquillou Le Club des enfants perdus (y aurait-il une relation avec son traumatisme d’avoir oublié de récupérer sa fille à la crèche ?), de Rebecca Lighieri. Elle a été transportée par l’expo d’Antoine Roegiers à la galerie Templon. Et puis, pour un break, elle retrouve ses copines au Servan*.
« C’est un délice. »
* Le Servan, 32, rue Saint-Maur, Paris 11 e .