Catastrophe ferroviaire de Tempe : à Athènes, une large foule crie sa colère contre la «dissimulation» du pouvoir
Fabien Perrier
Près de deux ans après la collision de deux trains qui avait causé la mort de 57 morts, des dizaines de milliers de personnes étaient rassemblées dans la capitale grecque pour réclamer justice et explications, qui font toujours défaut.
Sur la place Syntagma, comme dans les rues adjacentes de ce cœur d’Athènes, la foule est immense, dense. «Assassins», crient les manifestants tout en brandissant des pancartes «ni oubli, ni pardon» ou encore «pas de crime sans punition». Si des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées à Athènes, mais également dans les villes du pays, c’est pour clamer leur colère près de deux ;ans après l’accident de train qui a eu lieu à Tempe, près de Larissa, le 28 ;février 2023, provoquant la mort de 57 personnes, dont de nombreux étudiants.
« Cette catastrophe est un véritable traumatisme dans la société grecque », explique ainsi Thomas Chryssikopoulos. « Il y a une véritable rage sur la place. C’est comme si tout était fait pour cacher la vérité et disculper les responsables. » Théo K., la trentaine, abonde ;: « Je tenais à venir, en soutien aux familles des victimes, mais aussi pour exprimer ma colère face à au système dans lequel nous vivons ;: les grands médias n’ont pas relayé l’appel à se rassembler, la vérité est enfouie, et les responsables politiques de cette catastrophe ne sont pas jugés. »
Des révélations «accablantes»
En effet, après l’accident, une enquête judiciaire et une autre, parlementaire, ont été ouvertes pour déterminer les responsabilités pénales et politiques concernant le drame. Or, la commission parlementaire a été attaquée pour son manque d’impartialité politique. Les députés de la majorité Nouvelle Démocratie (droite conservatrice) à la Vouli, le Parlement grec, ont ainsi refusé de lever l’immunité parlementaire de deux anciens ministres des Transports, celui en charge du dossier au moment de l’accident, Kostas Karamanlis, et son prédécesseur. Pourtant, une pression avait été exercée pour les appeler à témoigner. D’une part par le biais d’une pétition signée par 1,8 ;million personnes, de l’autre par la procureure européenne en chef, Laura Kövesi, qui avait appelé à convoquer les ministres. «En prononçant ses conclusions, après une enquête lapidaire, le Parlement semble avoir dicté à la justice la marche à suivre…» note un proche du dossier.
« Nous voulons savoir ce qui s’est réellement passé , reprend Thomas Chryssikopoulos. Cette semaine, de nouvelles informations ont été diffusées. Elles sont accablantes .» La semaine dernière ont été diffusés sur les réseaux sociaux des enregistrements d’appels téléphoniques passés au numéro d’urgence, le 112. Un passager du train crie ;: «Je n’ai pas d’oxygène ;!» Une phrase transformée en mot d’ordre parmi les manifestants qui portaient des banderoles, en version simple ou plus étayée ;: «Nous descendons dans la rue pour les voix qui ont été réduites au silence par manque d’oxygène.»
En outre, un nouveau rapport d’expert, financé par les familles de victimes, a fait l’objet d’une fuite dans la presse la semaine dernière . Il montre que le train de marchandises transportait une cargaison «illégale» ;: des substances chimiques explosives qui ont provoqué un incendie lors de la collision. De nombreuses victimes ne seraient donc pas décédées à cause du choc provoqué par la collision, mais asphyxiées par manque d’oxygène. En mars dernier, l’hebdomadaire To Vima , qui citait un rapport de la police scientifique grecque, avait démontré qu’un enregistrement de la conversation entre le chef de gare de Larissa – la plus proche de Tempe – et le conducteur de l’un des deux trains était en réalité un montage. Ce collage de différentes bandes sonores avait été utilisé dans le but d’accréditer la thèse de l’erreur humaine.
«L’immunité utilisée contre protection contre les lois»
La rage trouve aussi sa source dans le contexte politique actuel. La Vouli élit actuellement le nouveau président de la République hellénique. Le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, a proposé comme candidat Konstantinos Tassoulas, accusé par l’opposition «d’être le bras long du gouvernement dans la dissimulation […] du crime de Tempe en tant que président du Parlement» , selon le Journal des rédacteurs ( EfSyn ). Ce choix a également été dénoncé par la présidente de l’association des familles des victimes et des rescapés, Maria Karistianou qui, dans une lettre publique au Premier ministre, affirme ;: « La mauvaise utilisation de l’immunité par de nombreux politiciens prouve une fois de plus qu’elle n’est utilisée que comme protection contre la punition et les lois. » Pour elle, ce choix « n’est pas la démocratie ».
« Suite aux révélations et en raison de la surdité de la justice grecque, l’association des familles des victimes et des rescapés de Tempe a décidé de se tourner vers la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg », révèle à Libération une source proche du dossier. Signe que, chez les proches des victimes, on ne croit plus possible de faire surgir la vérité en Grèce.
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