Aujourd'hui en France
Edition Principale
_Le Fait du jour, mercredi 8 janvier 2025 694 words, p. AUJM3,AUJM4
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January 8, 2025 - Le Parisien

Ses allers-retours ne rythmaient plus le quotidien

Ses allers-retours ne rythmaient plus le quotidien de Montretout, la demeure familiale du clan Le Pen nichée sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Au crépuscule de sa vie, c'est à Rueil-Malmaison que Jean-Marie Le Pen, mort ce mardi à 96 ans, a passé la fin de sa vie. À la Bonbonnière, du nom de son autre maison, celle de sa deuxième épouse, Jany. Des journées longues, devant la télévision, entrecoupées de soins, et de rares visites.

Parfois, selon sa forme, il s'enfermait dans une petite pièce assez sombre au premier étage et aux allures de nid d'aigle. Un bureau-refuge, chargé d'un fatras de livres et d'objets d'un autre temps, auquel il accédait par un ascenseur spécialement aménagé. Il y classait lentement et minutieusement une pile de documents aux feuilles jaunies par les années.

« Je ne me suis jamais rendu compte de mon âge jusqu'à 90 ans. Mais maintenant que j'aborde la dernière ligne droite, je me suis dit que c'était le moment de commencer à ranger mes petites affaires, à mettre de l'ordre pour que mes héritiers n'aient pas à gérer toute cette masse. »

Ses dispositions testamentaires, elles, étaient réglées depuis longtemps, même s'il pestait de ne pouvoir accorder qu'un quart de son héritage à Jany. Pour le reste, le testament mémoriel d'un pan entier de l'extrême droite française, il prétendait s'en soucier peu : « La postérité ne me préoccupe pas. »

Un livre de Brasillach sur sa table de chevet

Tout juste espérait-il que ses proches considéreront La Trinité-sur-Mer (Morbihan) - le fief où il est né et où il sera enterré - comme « un lieu de rassemblement régulier pour eux. Devant la tombe familiale, face à la mer, au pied du grand camélia géant du cimetière », où là aussi, les choses sont prêtes : une pierre tombale avec son seul prénom gravé dessus, Jean-Marie. « Ça suffira, on saura qui c'est ! », lançait le Menhir, bravache, qui avait eu cette idée en voyant la sépulture du nationaliste espagnol José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange.

La vieillesse, la mort... Le Pen longtemps espérait être centenaire. « J'aurais pu mourir dix fois déjà. Mais je sais bien qu'au bout personne n'y échappe : ni César, ni Jean-Paul II, ni Staline, ni Hitler. Tout le monde y passe ! Mais j'aime bien la vie », s'accrochait-il, en s'astreignant de longues heures de lecture pour travailler sa mémoire. « On dit que la vieillesse est un naufrage. J'essaie de boucher les trous... pour couler moins vite. »

Parmi ses livres de chevet, il citait spontanément l'« Anthologie de la mythologie grecque » écrite par l'écrivain collaborationniste Robert Brasillach. Le goût pour la provocation, toujours. Comme lorsqu'il revenait sur la publication du second tome de ses Mémoires, en septembre 2019, dont la promotion fut parasitée par la mort de Jacques Chirac, son ennemi de toujours. « Tout ce tapage autour de sa mort, ce déploiement médiatique, c'était trop ! Je n'ai pas considéré qu'il avait été à la hauteur de l'histoire », piquait-il.

« J'ai l'échine raide, je ne plie pas »

Il en profitait pour ressortir ses habituelles saillies contre le « fléau immigrationniste », « l'incroyable droit d'asile » ou encore le regroupement familial : « La population mondiale va franchir les 8 milliards. La misère va augmenter d'autant, ressassait-il dans son fauteuil. Cela va donner des violences extrêmes, des migrations des pays les plus pauvres vers les plus riches. C'est ce qui est en train d'arriver. J'aurai été un éclaireur. »

Sa fille Marine sera-t-elle à la hauteur ? « Oui, sans aucun doute », répondait-il. Mais les flèches n'étaient jamais loin à l'endroit de celle qui l'avait exclu du FN : « Elle fait des prestations brillantes à la télé, mais j'aimerais qu'il y ait un peu plus de chaleur humaine. Elle doit montrer aux Français qu'elle les aime, elle doit établir un lien magique. »

Il ressassait, mais sans regrets, à l'entendre. « J'ai l'échine raide, je ne plie pas », fanfaronnait-il. Tout en assumant, aussi, ces nombreux dérapages qui lui ont valu le surnom de « diable de la République ». « La notion même de dérapage me répugne. Je suis un homme libre. Je ne m'astreindrai pas à la moindre rédemption et encore moins à l'autocensure. » La vie comme un combat, jusqu'au dernier souffle.