January 9, 2025 | - | Le Monde (site web) |
Piotr Buras et Michal Matlak Les Européens parient sur la Pologne pour leur montrer la voie
Le nouveau rôle de leader de Varsovie au sein de l’Union européenne est un défi de taille pour le premier ministre polonais, Donald Tusk, estiment l’analyste politique et le chercheur
Piotr Buras et Michal Matlak
Le gala d’ouverture de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne (UE), qui s’est tenu le 3 janvier au Grand Théâtre de Varsovie, en présence du président du Conseil européen, Antonio Costa, et du premier ministre polonais, Donald Tusk, a été particulièrement minimaliste par rapport aux événements grandioses de 2011, année où la Pologne a exercé la présidence pour la première fois.
Cependant, les attentes sont résolument maximalistes. Après la présidence hongroise, controversée, et les crises politiques en France et en Allemagne, les Européens ont placé leurs espoirs dans la Pologne pour qu’elle leur montre la voie.
La Pologne apporte beaucoup à l’Europe. La réussite économique du pays au cours des deux dernières décennies – depuis son adhésion à l’UE – a été impressionnante. Le produit intérieur brut (PIB) de la Pologne a doublé, consolidant son statut de puissance économique. La Commission européenne prévoyant une croissance du PIB de 3,6 %, les performances économiques polonaises se distinguent non seulement au sein de l’Europe, mais aussi au-delà de la stagnation générale du continent.
Non seulement Donald Tusk annonce l’ « ère d’avant-guerre » et met en garde l’Europe contre l’illusion des dividendes de la paix, mais il joint l’acte à la parole : avec un budget militaire pour 2025 représentant 4,7 % de son PIB (plus de 40 milliards d’euros), la Pologne est le pays de l’OTAN dont la part du PIB consacrée à la défense est la plus importante et celui qui possède l’une des armées les plus puissantes d’Europe.
La Pologne a assumé une grande partie du soutien de l’Europe à l’Ukraine, en offrant une protection à des millions de réfugiés ukrainiens fuyant la guerre – une contribution qui, en incluant l’aide aux réfugiés, s’est élevée à 4,91 % du PIB de la Pologne.
Bataille contre l’illibéralisme
Varsovie a également redéfini son approche de l’intégration de la politique de défense de l’Union européenne. Connue pour son orientation transatlantique traditionnellement ferme, elle a longtemps été très sceptique à l’égard de l’idée française d’une « autonomie stratégique » de l’Europe et d’une union de défense de l’UE. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Donald Tusk est désormais l’un des principaux défenseurs d’une intégration et d’une coopération accrues de l’UE dans le domaine de la défense, préconisant des dépenses militaires européennes communes et des projets financés conjointement, tels qu’un bouclier antimissile européen (une initiative relancée avec le premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis).
Bien entendu, l’approche de la Pologne en matière de défense de l’UE pourrait ne pas plaire à tout le monde. Varsovie est favorable à l’acquisition rapide d’armes, si nécessaire aux Etats-Unis ou à la Corée du Sud, grâce à un financement européen commun, car c’est le seul moyen de combler – le plus rapidement possible – les énormes lacunes en matière d’équipement des armées européennes. Elle se méfie de la doctrine française « Achetez européen », qui peut aider à construire des capacités de production de défense à long terme mais ne répond pas aux besoins immédiats de l’ « ère d’avant-guerre » . La force de Tusk réside également dans un domaine où une autre vulnérabilité de l’Europe est devenue apparente : la bataille contre l’illibéralisme et le populisme d’extrême droite. C’est la lutte pour la démocratie, et non pour un rêve européen, qui est au cœur de sa mission politique.
Cependant, faire reculer le populisme s’avère une tâche immense. L’élection présidentielle, dont le premier tour doit avoir lieu le 18 mai, est considérée par Donald Tusk comme un référendum sur la démocratie polonaise et, en réalité, européenne. Si le candidat libéral, Rafal Trzaskowski, ne l’emporte pas, ce qui n’est pas du tout exclu, la Pologne pourrait retomber dans une nouvelle ère populiste, peut-être pour plus longtemps cette fois. C’est ce cauchemar qui anime Donald Tusk, davantage que les difficultés politiques de l’Union européenne. Ces considérations façonneront inévitablement l’agenda européen de la Pologne dans les mois à venir, ce qui limitera la capacité de Donald Tusk à adopter des projets ambitieux. Varsovie reste prudent face aux propositions françaises de déployer des troupes européennes en Ukraine pour stabiliser un éventuel cessez-le-feu, car la participation de la Pologne serait très controversée.
Sur une corde raide
Défenseuse de longue date de l’élargissement de l’UE, la Pologne doit également relever les défis de l’intégration de l’Ukraine. Les différends bilatéraux, comme le conflit sur l’exhumation des victimes polonaises des crimes ukrainiens de 1943-1944, alimentent les sentiments nationalistes et anti-ukrainiens en Pologne. Les différends commerciaux et agricoles ne sont pas moins conflictuels. Les pressions exercées par la Pologne en faveur de mesures d’importation plus strictes seront discutées dans les mois à venir, étant donné que l’ouverture actuelle du marché européen aux produits ukrainiens expirera en juin. Trouver le juste équilibre entre l’intérêt stratégique de la Pologne à garder l’Ukraine proche de l’UE et l’intérêt des groupes de pression nationaux sera comme marcher sur une corde raide.
Enfin, le nouveau rôle de leader de la Pologne au sein de l’Union européenne ne coïncide pas seulement avec un contexte politique intérieur difficile et des défis extérieurs sans précédent. Le modèle polonais d’adhésion à l’UE est également mis à l’épreuve. Le renforcement de la compétitivité de l’Europe par le biais d’une économie à faible émission de carbone est désormais la mission de l’Union européenne.
Cela représente un défi de taille pour la Pologne, qui dépend encore largement des combustibles fossiles. Varsovie devra s’assurer qu’en s’adaptant à la nouvelle logique de la transformation industrielle propre de l’UE le processus d’intégration reste aussi bénéfique pour les citoyens polonais qu’il l’a été au cours des deux dernières décennies. Ce qui est en jeu, ce n’est rien moins que le consensus majoritairement pro-européen en Pologne.
L’Europe et la Pologne sont à la croisée des chemins. Lors du gala d’ouverture, le 3 janvier, Donald Tusk a déclaré : « L’Europe a de la chance que, en ce moment très difficile de notre histoire, ce soit la Pologne qui remplisse la mission de la présidence. » L’Europe ne peut pas se permettre que ses paroles soient démenties.