Physique
January 7, 2025 | - | lesechos.fr |
Cape d'invisibilité : quand la réalité rattrape le mythe
De la mythologie grecque à Harry Potter, l'invisibilité a toujours fait rêver. Les métamatériaux et les progrès des nanotechnologies donnent aujourd'hui des résultats prometteurs.
C'est un rêve vieux comme l'humanité… Dans les écrits d'Ovide, déjà, les nymphes offrent à Persée « la kunée », un casque qui le rend invisible, pour qu'il aille combattre Méduse. C'est souvent en lisant les aventures de Frodon, dans « Le Seigneur des anneaux », ou du jeune Harry Potter, à Poudlard, que les enfants rêvent de devenir invisibles.
Ils ne sont pas les seuls : la quête d'invisibilité est aussi un objectif scientifique. Dès 2006, le physicien britannique John Pendry a surpris en proposant dans la revue « Science » la première recette théorique de cape d'invisibilité.
Rappelons que si un humain voit un objet, c'est parce qu'une onde lumineuse percute l'objet, que ce dernier la réfléchit et que l'onde revient dans l'oeil. D'où l'idée de Pendry : entourer l'objet d'un matériau dont les propriétés permettraient de dévier l'onde, afin qu'elle en fasse le tour plutôt que de se réfléchir dessus.
Métamatériaux
On appelle cela un « métamatériau ». Un « matériau conçu par l'homme et dont les propriétés - comme dévier la trajectoire d'une onde - n'existent pas dans la nature », explique le professeur Kim Pham, qui travaille dessus depuis plus d'une dizaine d'années à l'ENSTA Paris.
Un tel matériau est constitué de microstructures - des détails invisibles à l'oeil nu - dont l'agencement permet de tordre la trajectoire de l'onde. Cela peut être une structure labyrinthique par exemple : l'onde pénètre dans un minuscule anneau, ce qui dévie un peu sa trajectoire, puis dans un deuxième, rebelote et ainsi de suite. L'onde, forcée de faire le tour de la cape d'invisibilité, ne revient jamais dans l'oeil du spectateur.
« Il faut l'imaginer comme un rocher dans une rivière : l'eau, comme les rayons lumineux, arrive d'un côté, contourne l'obstacle, avant de reprendre son chemin en ligne droite de l'autre côté », résume Sébastien Guenneau, directeur de recherches au CNRS,en détachement à l'Imperial College deLondres.
Un dixième de nanomètre
Voilà pour la théorie. En pratique, c'est plus difficile. D'abord, pour que l'onde soit déviée dans les microstructures, il faut que celles-ci soient dix fois plus petites que la longueur d'onde de la lumière. Les détails doivent être de l'ordre du nanomètre, soit 1.000 fois plus fins qu'un cheveu. Une précision que les techniques de nanofabrication n'ont longtemps pas permis d'atteindre.
Mais l'ingénierie a avancé ces dernières années, se réjouit Sébastien Guenneau : « La start-up allemande Nanoscribe développe des imprimantes 3D de nouvelle génération avec une résolution proche de l'atome », soit un dixième de nanomètre. Cela permet de dévier l'onde. Mais la difficulté est maintenant « d'imprimer ces détails - d'un milliardième de mètre - sur une grande surface, comme une cape », souligne Kim Pham.
Or si la technologie a mis une vingtaine d'années à passer de la théorie de John Pendry à l'impression nanométrique, elle pourrait mettre beaucoup plus de temps à franchir cette deuxième étape. « L'invisibilité à la Harry Potter, c'est pour le XXIIe ou le XXIIIe siècle », conclut Sébastien Guenneau dans un sourire contrit.
Des projets de start-up
En attendant, cette perspective mobilise des entrepreneurs : certains ont créé des « panneaux d'invisibilité ». Imaginez une grande feuille de polycarbonate transparent, de 1,50 mètre de haut. Placée devant un paysage, elle permet de le voir en transparence. Mais, si une personne passe derrière le panneau, elle devient invisible : vous verrez toujours le paysage mais pas le corps de la personne. Cela s'explique par une ingénieuse disposition de lentilles, dont les angles de réfraction permettent à la lumière du paysage d'être étalée sur le panneau.
Le tour de passe-passe relève plus de l'illusion d'optique que de l'invisibilité scientifique : l'observateur doit, par exemple, se tenir bien en face du panneau et à une certaine distance pour que la magie fonctionne. Mais c'est impressionnant à voir en vidéo, à tel point que Sébastien Guenneau s'exclame : « C'est un magnifique tour de force. Je vais me commander un panneau d'ailleurs ! »
Le scientifique n'est pas le seul à être impressionné : la start-up londonienne qui l'a conçu, Invisibility Shield Co., a lancé ce produit en mars et a déjà récolté l'équivalent de 250.000 euros sur une plateforme de crowdfunding.
L'invisibilité qui protège
Aujourd'hui, les années de recherches sur l'invisibilité optique ont mené les scientifiques vers d'autres découvertes, bien plus utiles pour la société selon eux. C'est le cas de « l'invisibilité sismique ». Sébastien Guenneau a travaillé dessus à l'Institut Fresnel, à Marseille, avec le directeur de recherches au CNRS et vice-président de l'université d'Aix-Marseille Stefan Enoch, ainsi que le docteur en sismologie Stéphane Brûlé.
Ils se sont rendu compte que la déviation de l'onde optique dans un métamatériau pouvait être agrandie à échelle humaine et appliquée aux ondes sismiques. Un brevet déposé en 2017 « permettrait de protéger des monuments historiques », se réjouit Sébastien Guenneau.
Le procédé consiste à creuser des grands trous dans le sol, autour du monument à protéger, pour y plonger des colonnes en béton. Si les colonnes sont bien agencées, les ondes sismiques contournent le monument. Les expérimentations en grandeur nature doivent commencer prochainement. C'est la première innovation « d'invisibilité » qui aura une importance dans nos quotidiens, prédit le chercheur… en attendant que la cape d'Harry Potter soit une réalité.
Margaux Boulte
2006 L'année 50 nanomètres 399 euros