En exil depuis des décennies, l'ex-famille royale grecque retrouve sa nationalité
Par Marina Rafenberg (Athènes, correspondante)
LETTRE D'ATHÈNES
A la veille de Noël, l'ex-famille royale grecque a reçu un cadeau inattendu de l'Etat grec. Après des décennies d'exil sans pouvoir obtenir de passeports grecs, dix membres de la famille royale déchue depuis le retour de la démocratie en Grèce, en 1974, ont été naturalisés et peuvent désormais utiliser le nom de famille « de Grèce » (en français et retranscrit de manière phonétique en grec). « C'est avec une profonde émotion qu'après trente ans, nous retrouvons la nationalité grecque » , annonçait le 23 décembre l'ex-famille royale sur son site officiel. Mais, dans un pays qui s'est construit dans une forte opposition entre monarchistes et républicains, cette décision n'est pas passée inaperçue et a même suscité de très fortes critiques de la part de l'opposition de gauche et des constitutionnalistes.
Pour comprendre pourquoi cette dynastie a été privée de sa nationalité grecque et obligée d'être en exil pendant des décennies, un détour par l'histoire de la Grèce s'impose.
L'ancien roi Constantin II, monté sur le trône en 1964 et mort en 2023, a joué en effet un rôle ambigu. Après une guerre civile dévastatrice et dix-huit ans de gouvernements autoritaires, en 1963, les élections législatives sont enfin remportées en Grèce par un parti démocratique, l'Union du centre, menée par Georges Papandréou. Mais la décision de ce gouvernement de faire une purge dans l'armée nationaliste et anticommuniste déplaît au roi, qui lui demande, en 1965, de démissionner. S'ensuivent deux années de forte instabilité politique – dont Constantin II sera vu comme en partie responsable. Ce contexte facilitera le coup d'Etat d'avril 1967, quand des blindés de l'armée envahissent Athènes, démarrant sept ans de « dictature des colonels ».
Tentant de rattraper la situation, Constantin II organise un contre-coup d'Etat, mais il échoue et doit s'exiler avec sa famille. Lors d'un référendum organisé à la chute de la dictature, en 1974, les Grecs votent pour un régime démocratique et la fin de la monarchie. Les biens de la famille royale en exil sont confisqués.
Sauf que l'histoire ne s'arrête pas là. En 1991, le père de l'actuel premier ministre, Konstantinos Mitsotakis, alors chef du gouvernement, accepte une demande de l'ancienne famille royale de leur transférer leurs biens de leur résidence de Tatoï, près d'Athènes. « Le 17 février 1991, six camions chargés de neuf conteneurs pesant 32 tonnes quittent Tatoï pour le port du Pirée (…) avec des œuvres d'art et des objets de valeur vendus ensuite aux enchères. L'affaire avait provoqué un scandale politique » , rappelle le site d'information News247 . Quelques années plus tard, en 1994, le premier ministre socialiste Andréas Papandréou décide de déchoir la famille royale de sa nationalité et de définir dans la loi des conditions pour que ses membres puissent être de nouveau naturalisés. Parmi elles, l'obligation pour les membres de l'ex-famille royale de reconnaître les résultats du référendum de 1974 et de respecter la Constitution grecque.
Signal positif à l'extrême droite
Dans leur communiqué du 23 décembre, les héritiers affirment que « [leur] père et [leur] famille respectent le résultat du référendum de 1974 » . Le porte-parole du gouvernement, Pavlos Marinakis, a aussi assuré que la famille n'avait « aucune revendication et reconnaît les règles démocratiques de [leur] pays ». Mais le choix du nom de famille « de Grèce » et une naturalisation dénoncée comme « rapide » , contrairement au processus fastidieux que connaissent les migrants, indignent l'opposition de gauche.
« Le nom de famille qu'ils ont choisi est exactement contraire à l'esprit de la loi de 1994 (…) et prouve qu'ils veulent perpétuer un mythe monarchique » , souligne le leader du Parti socialiste, Nikos Androulakis. « L'ordre juridique grec ne reconnaît pas les titres de noblesse » , note aussi le parti de gauche Syriza.
Constantin II a toujours refusé d'adopter le nom de famille Glücksbourg, le patronyme de la dynastie danoise qui avait été placée sur le trône de Grèce à la fin du XIXe siècle par les puissances étrangères. « Nous avons choisi celui pour lequel avait opté feu notre oncle, Michel de Grèce, seul nom qui nous est familier puisque nous n'avons jamais porté aucun patronyme » , se justifient les descendants dans leur communiqué.
« Les plus jeunes devraient savoir, quand ils regardent avec envie la monarchie, qu'en Grèce, elle a été synonyme d'heures très sombres pour la démocratie (…) Ceux qui ont moins de 45 ans ne se souviennent pas et le gouvernement de M. Mitsotakis mise sur cela » , estimait récemment le porte-parole de Syriza, Giorgos Karameros.
Pour certains analystes politiques, la décision du gouvernement n'a, en outre, rien d'anodine. Dans un contexte où le parti conservateur de Kyriakos Mitsotakis « reste coincé en dessous des 30 % et perd du terrain principalement sur sa droite » , comme le note l'éditorialiste Vicky Samara pour News247 , elle permettrait au premier ministre d'envoyer un signal positif à l'extrême droite, réputée proche de l'armée… et de la monarchie.
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This article appeared in La Matinale du Monde