January 13, 2025 | - | Les Echos |
Exposition : New York célèbre le Paris des années 1910
JUDITH BENHAMOU
En 82 oeuvres, l'exposition « Orphisme » au Guggenheim montre comment à Paris, à partir de 1912, des artistes majeurs comme Robert Delaunay, Kupka ou Picabia ont cheminé vers l'abstraction. Une réunion de grands tableaux et un régal visuel.
Un nid grouillant d'artistes : pendant près d'un siècle et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, Paris fut l'épicentre d'une effervescence créative hors du commun. De Corot qui ouvrit le chemin aux impressionnistes à Marcel Duchamp, grand artisan de l'art conceptuel, en passant par Modigliani ou Giacometti, un vent de liberté poussa les esprits les plus ambitieux à affluer vers Montmartre ou Montparnasse.
Naturellement les institutions françaises consacrent de manière récurrente des manifestations à cette fascinante éclosion. Mais, cette fois, c'est de l'autre côté de l'Atlantique que le phénomène est célébré. Jusqu'à début mars, le Guggenheim Museum de New York pousse en effet un grand cocorico sur cinq étages, avec « Orphisme à Paris : 1910-1930 ». L'exposition se propose « d'explorer pour la première fois, un mouvement qui voulait s'affranchir du cubisme sous l'égide de Guillaume Apollinaire », explique la co-commissaire, Vivien Greene. C'est le poète lui-même, d'ailleurs, qui inventa le mot « Orphisme » en 1913 - une référence au mythe grec d'Orphée dont l'arme ultime est une lyre.
Effets kaléidoscopiques
Avant tout, il convient de souligner que la réunion de 82 grands tableaux dans le musée en colimaçon est un régal visuel, un véritable feu d'artifice, car le coeur du sujet est la couleur en peinture. Ou comment des tableaux qui parlent d'une décomposition de la lumière vont progressivement devenir abstraits. Mais à trop chercher à créer des mouvements, le critique se perd et le visiteur aussi. La faute en partie à Apollinaire : malgré son oeil exceptionnellement clairvoyant, le poète n'hésita pas à placer sous sa bannière orphique des artistes qui, rapidement, n'auraient plus rien à voir entre eux.
https://youtu.be/5k4Nj4clii0?feature=shared
La star de l'exposition est sans conteste Robert Delaunay (1885-1941) chez qui Apollinaire affecté par une peine de coeur va se réfugier en 1912 : « Delaunay inventait un art de la couleur pure », commente-t-il. Une tour Eiffel dégingandée, symbole de modernité, devient l'emblème de sa recherche polychrome dans des formats de plus en plus énormes.
En 1913, Delaunay crée un chef-d'oeuvre abstrait de forme ronde, « Premier disque », sans doute le plus grand choc visuel de l'exposition du Guggenheim. La toile qui appartient toujours à une collection privée, est composée de cercles concentriques dont la teinte change tous les quarts de tour. Apollinaire évoque un autre de ses héros, Frantisek Kupka (1871-1957), l'un des inventeurs de l'abstraction, qui réalise des compositions en volutes, inspirées par la musique.
L'exposition montre aussi les peintures des années 1910 des futurs grands farceurs que sont Marcel Duchamp et Francis Picabia, alors obsédés par la représentation du mouvement, et un hommage atypique de Marc Chagall à Apollinaire en 1913, en forme de disque encore. Mais dès juin 1914 le poète lui-même ne croit plus à sa théorie : « Il ne faut plus prendre à la lettre les dénominations de cubistes, orphistes, futuristes. Il y a longtemps déjà qu'elles ne signifient plus rien. » Changer d'avis est une preuve d'intelligence. Les tableaux montrés au Guggenheim, quelle que soit leur appartenance, sont, eux, toujours aussi beaux.
« Harmony and dissonance. Orphism in Paris : 1910-1930 ». A New York, musée Guggenheim, jusqu'au 9 novembre.
Judith Benhamou