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mercredi 8 janvier 2025 - 10:30:45 918 words

François Bayrou assume l’emploi du mot «polémiques» pour parler de Jean-Marie Le Pen à grand renfort d'étymologie grecque

Sylvain Chazot, Etienne Baldit, Chez Pol

Pour se justifier avoir utilisé un terme jugé trop faible pour évoquer la carrière du fondateur du FN, le Premier ministre précise à «Libération» que sa racine signifie guerre.

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On ignore à quoi vous avez passé votre soirée de mardi. De notre côté, on a reçu une leçon de grec de la part de François Bayrou. Une manière pour le Premier ministre de nous assurer que non, son message sur Jean-Marie Le Pen n’était en rien léger. Peu après la mort du cofondateur – avec d’anciens SS, faut-il le rappeler – du FN, Bayrou s’est fendu d’un tweet : «Au-delà des polémiques qui étaient son arme préférée et des affrontements nécessaires sur le fond, Le Pen aura été une figure de la vie politique française . On savait, en le combattant, quel combattant il était.»

Un post qui a suscité l’ire de la gauche, mais pas que (on y revient plus bas). Car ce message est peut-être un peu court, jeune homme. On pourrait dire bien des choses en somme et notamment user d’un autre mot que celui de «polémiques» pour parler des diverses outrances du patriarche Le Pen, condamné maintes et maintes fois pour apologie de crime de guerre, contestation de crimes contre l’humanité, provocation à la haine, à la discrimination et à la violence raciale, injures publiques, violences, etc.

«Vous savez ce qu’est la racine de “polémique» ?»

«Vous savez ce qu’est la racine de «polémique» ?» nous a ainsi demandé l’ancien professeur agrégé de lettres classiques. Si, comme pour nous, vos cours de grec sont un peu loin, sachez que Bayrou nous a heureusement apporté la réponse : «Polemos : guerre.» Et le Premier ministre de détailler : «Dire que la polémique était l’arme préférée de Le Pen, c’est la moindre des réalités. Si vous lisez le tweet, vous comprendrez que les affrontements sur le fond étaient nécessaires.»

De quoi contrebalancer les infos de BFM TV. Dans la soirée, la chaîne info, citant des conseillers de Matignon, assurait que la rue de Varenne avait finalement trouvé le message à tout le moins maladroit, regrettant l’usage du mot «polémiques» et l’absence du mot «extrême droite». «N’importe quoi !» nous a rétorqué Bayrou. Il ne faudrait peut-être pas brusquer les héritiers de Le Pen père, crin de cheval supportant l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête du gouvernement.

On se permet en tout cas de douter que les justifications étymologiques de Bayrou suffisent à apaiser les élus du camp présidentiel choqués par son tweet. «Vaut mieux ne rien écrire quand on dit des choses pareilles», canardait un député EPR (ex-Renaissance) mardi après-midi au sujet du Premier ministre mais aussi de Bruno Retailleau, qui s’est également fendu d’une épitaphe bien peu offensive et éludant les «détails» les plus gênants de la carrière du père de Marine Le Pen. Ce même élu macroniste estime que les plus hautes autorités de l’Etat auraient pu «considérer qu’une seule actualité, les hommages du 7 Janvier, vaut bien qu’elle en occulte d’autres et qu’on les range au rang de non-événement».

Un ancien ministre juge quant à lui Bayrou et Retailleau complètement «à l’ouest» : «Comme quand Bayrou va (vers l’ouest) à Pau au lieu d’être à la réunion sur Mayotte. Comme quand Elisabeth Borne tourne les talons aux professeurs (vers l’ouest). On nous avait promis des pros, eh ben franchement c’est plutôt sunday league.» Traduction : les amateurs du dimanche. Seul Emmanuel Macron est finalement (pour une fois) exempt de critiques, le communiqué factuel de l’Elysée sur le fondateur du FN ayant évité les pièges dans lesquels le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur sont tombés, même s’il passe aussi sous silence les innombrables condamnations de Le Pen. «Figure historique de l’extrême droite, il a ainsi joué un rôle dans la vie publique de notre pays pendant près de soixante-dix ans, qui relève désormais du jugement de l’Histoire», y est-il écrit. Des mots choisis (par le «conseiller mémoire» du Président, Bruno Roger-Petit, selon le Figaro ) avec un soin de démineur chargé d’éteindre une bombe sur le point d’exploser.

Quant à Retailleau, c’est donc par ces mots qu’il a réagi au décès du grand-père de Marion Maréchal : «Aujourd’hui, une page de l’histoire politique française se tourne. Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de Le Pen, il aura incontestablement marqué son époque.» Et de conclure par «toutes [ses] condoléances» à la famille. L’énorme passif judiciaire et moral de la principale figure de l’extrême droite française des dernières décennies ne serait donc qu’affaire d’ «opinion» , et le ministre de l’Intérieur garde d’ailleurs la sienne soigneusement pour lui. Un député LR, choqué que Bayrou «édulcore l’œuvre de Le Pen», épargne toutefois ce ministre issu de ses rangs, qui selon lui «reste factuel» . Mais le même «aurait apprécié que les membres de [sa] famille ignorent ou rendent plutôt hommage à la mémoire de Philippe Séguin, disparu il y a quinze ans.» L’ancien ministre, président de l’Assemblée et du RPR et figure du gaullisme social, est lui aussi mort un 7 janvier, en 2010.

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