Dette publique : pas touche au PIB !
Dette publique : pas touche au PIB !
Alors que les discussions budgétaires vont reprendre, l'économiste Gilles Raveaud rappelle que la baisse des dépenses publiques s'accompagne d'effets pervers : la baisse du PIB et l'augmentation de la dette. Pour sortir de ce cercle vicieux, il préconise d'accroître la fiscalité sur le patrimoine.
La France est-elle dans la situation de la Grèce en 2008, lorsque, suite à la crise financière déclenchée aux Etats-Unis, et en raison de l'absence de solidarité européenne, ce pays dut mettre en oeuvre une terrible politique d'austérité ? Bien sûr que non.
Budget : la partition d'Eric Lombard, nouveau locataire de Bercy
Mais cela n'empêche que la leçon des politiques d'austérité mises en place dans ce pays est valable pour nous : le plus difficile, ce n'est pas de diminuer les dépenses publiques. C'est de le faire sans que le ratio Dette publique/PIB augmente. L'Etat grec a mené une terrible politique d'austérité : forte diminution du salaire des fonctionnaires et du salaire minimum, coupes dans la santé. Avec pour conséquences une explosion de la pauvreté, le départ massif de la jeunesse éduquée, des suicides. Entre 2009 et 2012, le PIB grec chuta d'un quart. Résultat : le ratio Dette publique/PIB, loin de diminuer, comme l'UE le prévoyait, a explosé. Il est alors passé de 110 % en 2008 à 160 % en 2012. La baisse des dépenses publiques a donc fait exploser la dette ! Pourquoi ? Moins de dépenses publiques, c'est moins de revenus privés Lorsque l'Etat ou la Sécurité sociale dépensent de l'argent, c'est toujours au bénéfice d'une personne, ou d'une entreprise. Embauche de fonctionnaires, construction d'une piscine, « crédits d'impôt recherche »... Toutes ces mesures alimentent les comptes en banques d'individus, de familles, d'associations, d'entreprises. Et donc, lorsque les dépenses publiques diminuent, les revenus de ces personnes chutent. Elles achètent moins, investissent moins. Résultat : le PIB chute. Et donc la baisse des dépenses publiques peut très bien pousser à la hausse le ratio Dette publique/PIB.
Si ces politiques d'austérité furent décidées, c'est en raison d'une grave erreur conceptuelle commise à l'époque par les experts de la Banque centrale européenne, de l'UE et du FMI. Ils pensaient que l'Etat grec étant par définition trop gros, comme tout Etat, tout amaigrissement de sa part bénéficierait à l'économie privée du pays. Ce fut le mérite d'Olivier Blanchard, alors économiste en chef du FMI, ancien professeur au MIT, star de la macroéconomie mondiale, de reconnaître, en 2013, que, selon ses termes, les prévisionnistes du FMI avaient « nettement sous-estimé la baisse de la demande intérieure associée à l'assainissement budgétaire ». Oui, il existe bien ce que les économistes appellent un « effet multiplicateur » à la baisse des dépenses publiques sur le PIB. Dans ce cas, moins l'Etat dépense, plus l'économie s'effondre, et donc... plus le déficit se creuse ! L'Union européenne est, depuis cette époque, devenue l'exemple à ne pas suivre, cité dans tous les cours de macroéconomie du monde. Austérité en Europe : bientôt la saison 2 ? En février 2022, Bruno Le Maire, alors ministre de l'Economie, prononce un discours devant la commission des Finances du Sénat, alors que la France préside le Conseil de l'Union européenne. S'adressant indirectement à ses collègues européens, il leur rappelle que les politiques d'austérité ont causé « l'explosion de la dette de la zone euro, qui est passée de 66 % du PIB en 2007 à plus de 90 % en 2012 ».
Se rend-on compte de la folie de la chose ? En seulement cinq ans, la dette publique de la zone euro a augmenté de plus de 1 000 milliards d'euros ! Pourquoi ? Parce que, Bruno Le Maire le dit encore, « lorsque vous faites le choix de l'austérité, les premières dépenses dans lesquelles on tranche [sont] toujours les dépenses d'investissement dans l'innovation, la recherche, l'éducation, l'enseignement supérieur, celles qui garantissent l'avenir d'un pays ». Nous savons donc ce qu'il ne faut pas faire. Mais que faut-il faire ? Ce que nous cherchons, c'est une mesure qui améliore la situation des finances publiques, sans pénaliser l'économie. Un tel impôt magique existe-t-il ? Heureusement, oui. Les très hauts patrimoines contre le PIB Il s'agit de la fiscalité sur le patrimoine. En effet, la richesse - les appartements, actions, placements financiers - ne fait pas partie du PIB, qui ne mesure que les nouvelles créations de richesses qui interviennent chaque année. Or les patrimoines sont très concentrés en France : 10 % des familles en détiennent à elles seules plus de la moitié - 55 % exactement. La situation est si grave que, dans son livre de 2013, « le Capital au XXI siècle » (Seuil),Thomas Piketty alertait sur le risque que toute méritocratie disparaisse dans notre pays, sous le poids des héritages.
Thomas Piketty : « Il est temps de dépasser le capitalisme »
De plus, ces patrimoines alimentent les prix de l'immobilier, qui empêchent des travailleurs d'accepter des emplois, faute de pouvoir se loger à proximité, et ce qui pèsent fortement sur la capacité de consommer de tous. Ils pénalisent donc l'activité. Taxons donc les, et nous ferons d'une pierre trois coups : plus de recettes publiques ; plus de justice sociale ; et, espérons-le, une chute du prix astronomique des logements, que les très riches auront dû revendre pour s'acquitter de notre jolie nouvelle taxe. Aujourd'hui, aidez un riche Et là où c'est chouette, c'est que des riches le demandent eux-mêmes. On lit en effet dans « les Echos »du 9 janvier dernier une tribune, signée une centaine d'entrepreneurs, appelant à accroître la fiscalité sur les 1 % de patrimoines les plus élevés. Notant que les plus fortunés « échappent massivement » à l'actuel impôt sur les transmissions, ils appellent à le réformer, afin de « dégager plus de 400 milliards d'euros de recettes sur la période 2025-2040 ». Voilà une proposition simple, dont nos députés peuvent se saisir.
ISF, histoire d'un totem français : « C'était avant tout une volonté de justice sociale »
Enfin, leur texte rappelle que, en tant qu'entrepreneurs couronnés de succès, s'ils « cro[ient] bien évidemment au travail et à l'audace », ils reconnaissent également que « la chance », ainsi que « le déterminisme social » ont « joué un rôle clé » dans leur réussite. Un rappel bienvenu par les temps qui courent. Saisissons donc cette opportunité pour retrouver un peu d'espoir, et de raison, dans les difficiles discussions en cours pour l'adoption du budget de notre Etat.
This article appeared in Le Nouvel Obs (site web)