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politique, dimanche 26 janvier 2025 - 06:30 UTC 1249 words

TÉMOIGNAGE. « J’ai eu de la chance » : il y a 10 ans, Franck survivait au crash d’un F-16 en Espagne

Maxime MAINGUET.

Le 26 juillet 2015, un F-16 de l’armée de l’air grecque engagé dans un exercice de l’Otan se crashait en décollant de la base espagnole de Los Llanos, à Albacete. L’accident fera 11 morts, dont 9 militaires français, et de nombreux blessés. Parmi eux, le mécanicien Franck Poirot. Dix ans après, il témoigne.

Le 26 janvier 2015, un avion grec engagé dans un exercice de l’Otan s’écrasait au décollage sur des appareils alliés, stationnés sur une base aérienne d’Albacete, en Espagne. L’accident, lié à une erreur humaine, fait 11 morts, dont 9 soldats français . Le crash laisse aussi derrière lui de nombreux blessés, parmi lesquels le Lorrain Franck Poirot, chargé de l’entretien de certains avions engagés dans l’exercice.

« Une explosion sur ma gauche »

Franck Poirot, 29 ans à l’époque, est alors dans l’armée depuis une dizaine d’années. Il y est « pistard » , c’est-à-dire mécanicien de piste. Son rôle ? « Faire les vérifications journalières de l’avion, faire des visites avant et après vol, faire les mises en route, les tests… », raconte-t-il aujourd’hui. Il est affecté à la base de Nancy-Ochey, où sont installés les deux Mirage-2000 qui, parmi d’autres appareils, participent à l’exercice otanien. Cet événement peut être vécu comme « une sorte de récompense, car c’est une mission plutôt sympa », rapporte Franck Poirot. Une récompense qui va bientôt virer au drame.

En début d’après-midi, ce 26 janvier, lorsque le F-16 grec responsable de l’accident se présente en bout de piste, Franck Poirot se trouve « sur le parking avion, qui est parallèle à la piste de décollage » . S’y trouvent notamment des avions italiens, américains et français, alignés les uns derrière les autres. Franck Poirot veille sur les deux Mirage-2000. Le plus proche de la piste est prêt, son équipage est embarqué. Appuyé sur l’avion, le mécanicien attend « alors l’autre équipage qui doit arriver juste derrière » . Lorsque celui-ci apparaît, « je me déplace vers l’arrière du second avion, pour brancher une prise afin de mettre le courant sur l’avion » .

C’est alors qu’il entend « une explosion sur sa gauche » . Le F-16 grec venait de décoller quelques secondes plus tôt mais, à cause d’une erreur du pilote dans le suivi de la procédure de départ, l’avion vire trop sur la droite. Le pilote ne parvient pas à redresser l’appareil, qui perd dangereusement de l’altitude. Rapidement, l’accident devient inéluctable. « Cette explosion c’était l’éjection de l’équipage du F-16 » . Puis, « l’avion a tapé le sol entre la piste de décollage et notre tarmac, il a continué sa course au sol et est venu percuter le Mirage sur lequel j’étais appuyé 10 secondes auparavant ».

« J’ai juste eu le temps de me fléchir pour sauter sous le deuxième avion qu’une explosion me projetait dans son train d’atterrissage. J’ai eu beaucoup de chance parce que l’avion m’a protégé de la boule de feu liée à l’accident, qui est passée au-dessus de lui » . Son réflexe de se baisser lui a ainsi permis d’éviter d’être projeté contre les ailes du second avion. « Sinon j’étais décapité. »

« La vue sur les mecs en feu »

Projeté sous le second Mirage-2000, le mécanicien voit des flammèches tomber de son fuselage. « Je me suis dit : “Il faut que je me tire de là” ». Blessé aux jambes, le mécanicien rampe alors tant bien que mal pour s’extraire du piège et voit au loin deux mécaniciens français. « J’ai crié, ils m’ont vu et sont venus me tirer pour m’écarter du feu. » « Ils m’ont d’abord tiré au sol, et moi je voyais mes chevilles faire gauche-droite-gauche droite. Je ne me souviens pas avoir ressenti de douleur mais j’ai crié “Aïe !” presque par réflexe » . Franck Poirot, qui souffre aussi de graves blessures à la main, est allongé sur des grands extincteurs, les pieds tenus loin du sol par « un hamac » formé par la veste de l’un des mécaniciens. « J’avais la vue sur ce qui se passait, sur les mecs en feu. »

Tant bien que mal, le Lorrain est tiré jusqu’aux F-15 américains stationnés non loin. « Un mécano américain est arrivé avec un Mercedes Vito, et il a fait demi-tour pour me charger par la porte latérale » . Plusieurs blessés s’y trouvent déjà. Franck Poirot est installé à côté de l’un d’eux, un Français. « Dans un premier temps, je ne l’ai pas reconnu, tellement il était brûlé » . Il s’avérera un peu plus tard que cet homme, grièvement blessé, n’est autre que son chef.

Le véhicule les emmène au service médical de la base. « Ils n’étaient pas en état de nous recevoir, alors ils nous ont dit d’aller directement à l’hôpital » . « Et là, c’était Starsky et Hutch, le véhicule passait sur les terre-pleins, les trottoirs, parce qu’il y avait des bouchons » . Il n’empêche, quelques minutes plus tard, le véhicule arrive à l’hôpital.

Deux ans de rééducation

Commence alors une longue, très longue séquence d’hospitalisation. Quelques heures en Espagne, d’abord, où Franck Poirot reçoit la visite du ministre des Armées, Jean-Yves Le Drian . Puis, rapidement, en France. « Le crash a eu lieu le lundi, et le mercredi, on a été rapatrié à l’hôpital Percy de Clamart, en Falcon » .

Franck Poirot y reste trois mois, dont deux sur le plateau de rééducation. Il demande un peu plus tard son transfert à Nancy, près des siens, et notamment près de sa femme. « J’avais eu un grave accident de moto en 2012, donc je connaissais leur centre de rééducation » . Cette rééducation s’avère lente. « J’ai dû faire deux ans de fauteuils roulants. » De fait, les séquelles de l’accident sont importantes. « Au final, ils m’ont amputé d’un doigt, j’en ai deux qui marchent plus très bien, et j’ai toujours des douleurs aux chevilles. J’ai un peu de mal à rester debout longtemps, mais je peux marcher, même si je le paye le lendemain »

Mais « je ne peux pas me plaindre », estime Franck Poirot. « J’ai des collègues qui ont fait un ou deux mois de coma, ou qui ont été brûlés à 60 % » . D’autres aussi qui ont perdu la vie. Des pilotes, instructeurs ou mécaniciens, frappés par une mort loin des champs de bataille, la faute à « un pilote qui n’a pas fait son travail au bon moment ». La mort, « ce n’est pas notre quotidien mais on est conscient qu’il y a des risques », rappelle Franck Poirot. « Mais on ne pensait pas que le risque serait en Espagne ».

Retour à l’armée

Après sa rééducation, et malgré l’accident, Franck Poirot a repris le chemin de la base de Nancy. « J’ai été réformé médicalement mais j’ai été repris comme civil de la défense » , précise-t-il. « Je travaille dans la même unité, mais dans un bureau technique ». « J’étais entré dans l’armée pour porter l’uniforme et voir du pays, et j’aurais aimé faire plus de choses avant cet accident. Donc ça a été difficile à digérer ». Mais « au moins je rentre chez moi tous les soirs, en famille ! »