En vue
Quand Michel Zink était une licorne
essai Dans un ouvrage étonnant, le médiéviste mêle ses souvenirs d'adolescent aux plaintes amoureuses des auteurs du Moyen Âge.
Develey, Alice
Aujourd'hui, je ne suis plus licorne. Je ne suis plus rien. » Ce sont par ces mots que s'ouvre le dernier livre de Michel Zink. On n'aurait jamais pensé un jour lire ces phrases sous la plume de l'académicien et médiéviste. Mais, bien sûr, il s'agit d'aller au-delà de nos clichés sur l'animal, aujourd'hui bien trop caricaturé sous la forme d'une mièvre peluche à la crinière rose et violette. Comment a-t-il donc pu être licorne ? Et d'abord, qu'est-ce qu'une licorne ? Parle-t-on vraiment d'un cheval avec une corne ? Ne serait-il pas plutôt question d'une petite chèvre blanche ? Voilà tout l'objet de Quand j'étais licorne (Lattès). L'auteur établit d'abord le portrait de la bête. Comment faut-il l'appeler ? À l'origine, dans l'antiquité grecque, la licorne se nomme « monocéros » et le mot est masculin. Il se rencontre sous sa forme latinisée « d'unicorne » avant de devenir, neuf siècles plus tard, au XIVe, la licorne qu'on connaît. Voilà pour son nom. Et à quoi ressemble-t-il donc ? « Disney a tout faux » , annonce d'emblée Zink. L'animal est vigoureux, redoutable et féroce. « Il se plaît à éventrer les éléphants avec sa corne unique. » Mais comme toute créature, il a son point faible : il suffit de lui envoyer une jeune fille vierge pour qu'il s'assagisse et soit capturé.
C'est ce que l'on comprend au fil de notre lecture, la licorne n'est pas tant un animal qu'une allégorie. Il est le Christ, et la jeune fille devant laquelle il s'agenouille, la Vierge Marie. Les auteurs se succèdent et s'emparent de son image. Le voici biblique, le voilà l'incarnation d'un amour impossible. C'est dans cette dernière représentation que Zink se reconnaît, alors qu'adolescent, en proie à ses premiers mois, il tomba sur les poèmes des troubadours du XIIe et XIIIe siècles. L'écrivain mêle ses souvenirs de lecture aux complaintes, en ancien français, des auteurs médiévaux. On croise Guillaume de Lorris et Jean de Meun, auteurs du Roman de la Rose , mais aussi Thibaut de Champagne, Richard de Fournival et Chrétien de Troyes. Si Michel Zink maîtrise parfaitement son sujet, l'ensemble n'en demeure pas moins redondant, du fait de trop nombreuses prétéritions. Reste qu'on en retirera des anecdotes étonnantes sur la manière dont les animaux étaient vus à travers le prisme de leur signification morale, spirituelle, divine ou diabolique.