January 31, 2025 | - | Le Monde (site web) |
La Belgique toute proche d’un gouvernement
Le nationaliste flamand Bart De Wever a réussi à réunir cinq partis pour former une coalition
Jean-Pierre Stroobants
Bruxelles - correspondant - Les Belges ont voté le 9 juin 2024 et après 236 jours sans gouvernement de plein exercice et un dernier marathon de plus de cinquante heures de tractations, les cinq partis pressentis pour former une coalition, dirigée par le nationaliste flamand Bart De Wever, ont trouvé un accord, vendredi 31 janvier au soir.
Réunis en « conclave » à l’Ecole royale militaire de Bruxelles, trois partis néerlandophones et deux partis francophones ont approuvé la « super note », un volumineux dossier de quelque 700 pages, que leur soumettait M. De Wever, président de l’Alliance néoflamande (N-VA) et maire d’Anvers. Celui-ci, qui était attendu au palais royal à 18 heures pour y faire un rapport au chef de l’Etat, s’y est présenté beaucoup plus tard dans la soirée.
Les discussions ayant permis de conclure cet accord de gouvernement auront été particulièrement difficiles. Elles ont été émaillées de diverses péripéties, parmi lesquelles la démission de M. De Wever, désigné comme « formateur » du gouvernement fédéral par le roi Philippe, le 10 juillet 2024.
Début novembre, le dirigeant nationaliste flamand avouait l’échec de ses tentatives pour concilier les vues de cinq formations : la sienne, celles des chrétiens-démocrates flamands, des libéraux et des centristes francophones, ainsi que celle de Vooruit, le parti socialiste flamand, seule formation de gauche associée aux débats. Après un court intermède, M. De Wever s’était remis à la tâche, s’appliquant à concilier les vues très antagonistes de deux de ses interlocuteurs, Conner Rousseau, le président de Vooruit, et Georges-Louis Bouchez, le dirigeant du Mouvement réformateur (droite libérale francophone).
En novembre 2024, M. Rousseau avait claqué la porte, en soulignant le caractère trop droitier, à ses yeux, du programme ébauché par M. De Wever. Vendredi 31 janvier, alors qu’une conclusion semblait proche, c’est M. Bouchez qui a manifesté sa mauvaise humeur en raison d’un projet de taxation des plus-values boursières. Un tête-à-tête entre M. De Wever et son collègue a finalement débouché sur un compromis préovoyant un échelonnement du niveau de taxation selon les revenus des intéressés.
Dans la foulée, un vaste programme de réforme du marché du travail, des retraites et de la fiscalité a été approuvé, au grand dam de la gauche et des syndicats, qui évoquent déjà une « régression sociale » d’ampleur, avec une limitation dans le temps de l’indexation automatique des salaires, un plafonnement des allocations sociales et la fin de certains régimes spécifiques de retraite.
Jusqu’au bout, les syndicats auront tenté de convaincre une partie des négociateurs de rejeter les propositions du formateur. Du côté des patrons aussi, la pression était forte, les fédérations flamande, wallonne et nationale réclamant la mise en place urgente d’un gouvernement de plein exercice et capable de rétablir la compétitivité, de réduire la pression fiscale et de réformer le mécanisme d’indexation des salaires. Le risque en cas d’échec était « un scénario à la grecque » , prédisait Pieter Timmermans, le patron de la Fédération des entreprises de Belgique.
Politique d’austérité
Avec son accord en poche, Bart De Wever devrait prêter serment devant le roi, lundi, et prononcer sa déclaration de politique générale devant les députés, le lendemain. A condition toutefois que les congrès que doivent réunir les cinq partis approuvent la participation. Tous les regards seront tournés vers Vooruit, un parti divisé et inquiet à l’idée de contribuer à une politique d’austérité. M. De Wever promet en effet des économies de près de 20 milliards d’euros.
Une autre inconnue subsiste : le président de la N-VA, un parti dont les statuts prônent toujours l’instauration d’une « république indépendante de Flandre » , a-t-il renoncé à son projet ? Il sait que toute avancée vers cet objectif est tributaire d’un vote aux deux tiers à la Chambre des députés et nécessite une majorité dans chaque groupe linguistique. Aussi prône-t-il, de manière plus réaliste, des « politiques asymétriques » – en clair, davantage d’autonomie – pour les régions dans la santé, l’emploi ou la politique économique. Son parti réclame aussi des accords entre les régions pour la diplomatie, les régions belges devant, selon lui, acquérir plus de marge de manœuvre sur la scène européenne et internationale.
Lors de la réception de Nouvel An de la N-VA, début janvier, M. De Wever promettait « des progrès concrets » à ses militants. Du côté des négociateurs francophones, on maintenait, en revanche, qu’il n’était pas question de « démanteler le pays ». Reste à savoir combien de temps ils pourront résister à une autre demande des nationalistes flamands : une autonomie fiscale des régions, qui pénaliserait lourdement la Wallonie et rapporterait 11 milliards d’euros à la Flandre chaque année. Sur 100 euros qui y sont actuellement collectés par l’Etat fédéral, 75 euros seulement lui reviennent, ce qui alimente la polémique sur les transferts interrégionaux.