Le Berry Républicain
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IG, lundi 13 janvier 2025 796 words, p. Berry-33
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La génération Bêta, dernière née d'un classement par ordre alphabétique à fort potentiel marketing

Êtes-vous plutôt X, Y, Z ou Alpha ?

Après X, Y, Z, la version latine, puis Alpha, la version grecque, Bêta pointe le bout de son nez dans l'ordre alphabétique. La dernière-née des générations a poussé son premier cri le 1 er janvier et s'époumonera jusqu'en 2039 avant Gamma (2040-2054) et Delta (2055-2069), dont on connaît les dates avant même qu'elles n'aient vu le jour !

Bêta a de grandes chances de connaître le XXII e siècle, à supposer que l'humanité ait résisté à l'apocalypse climatique annoncée. L'intelligence artificielle, son lot quotidien de l'éducation à la santé en passant par les loisirs représentera-t-elle sa planche de salut ? Ou bien les machines domineront-elles le monde ?

« Génération sacrifiée »

À ce propos, de quel cerveau est donc sortie cette idée de baptiser les générations ? Et quelle en est l'utilité ? « Tout est parti d'un grand sociologique, Karl Mannheim. Dans les années 1920, il avait évoqué la génération sacrifiée, qui a vécu en même temps la guerre et les tranchées, ce qui a créé, de manière dite ou non dite, quelque chose de commun », renseigne Serge Guérin. « À cette époque, les générations se succédaient plus lentement. Les ruptures, technologiques ou autres, n'étaient pas aussi fortes qu'aujourd'hui. Le fait historique primait et avec la Première Guerre mondiale, on a vraiment changé de monde », explique le sociologue, spécialiste des questions liées aux seniors et à l'intergénération.

« Dans les années 1980, le monde de la publicité reprend cette notion de génération à son compte, considérant qu'il faut découper les gens en tranche et leur vendre chacun un produit différent, les fameux segments. Cette histoire de générations sert avant tout un produit marketing, elle permet de raconter une histoire. De fil en aiguille, on ne sait plus ce qui la guide : le nouvel Iphone ou le Covid, et pourquoi elle dure dix ans, quinze ou vingt ans. »

La génération X, dont le nom serait apparu dans un reportage du photographe américain Robert Capa, a été qualifiée d'aventureuse et de cynique par les auteurs américains William Strauss et Neil Howe. Ce sont eux qui ont donné le nom de Millenials (milléniaux en français) aux enfants, devenus adultes en 2000, qui ont grandi avec l'essor d'Internet. Quant au démographe australien Mark McCrindle, il a eu l'idée d'« Alpha » pour consacrer la génération porteuse d'une « influence sur les marques et d'un pouvoir d'achat qui dépasse son âge ».

Pas de réalité sociale

Pour Serge Guérin, ce saucissonnage ne résiste pas à l'épreuve des faits : « La réalité sociale est heureusement beaucoup plus riche, plus diverse. Il existe tellement d'hétérogénéité au sein d'une même classe d'âge, d'imaginaires, de cultures, de référents différents : entre deux jeunes de 20 ans, celui qui habite dans une grande ville et celui qui vit à 40 km du premier lycée, ce n'est pas la même histoire du tout. »

Au-delà de la facilité, enfermer les gens dans des cases, sur le seul critère des révolutions technologiques, ravive automatiquement la guerre des anciens et des modernes, un grand classique. Mais si les « boomers » ont leurs contempteurs dans les générations Y et Z, « la famille a tendance à « reprendre des forces », constate le sociologue. Au sein d'une société très défiante, « c'est un refuge ». « Même si le rapport au travail, à la liberté d'expression diffère entre les générations actuelles, on ne constate pas d'affrontement générationnel. Dans un pays qui ne va pas très bien, marqué par beaucoup d'affrontements, c'est sans doute l'un des leviers sur lesquels il faudrait le plus travailler pour renforcer les liens sociaux. »

D'ailleurs face à une Terre minée par les incertitudes, le sociologue pense que la recherche de réponses doit traverser les générations. « Comme on ne décide plus de rien, ni de la guerre, ni des évolutions technologiques, ni des effets de la nature, on est d'autant plus en capacité d'agir là où l'on vit. On va faire en sorte que la forêt soit propre, que la rivière ne soit pas polluée, on va organiser des fêtes, créer du lien social, de la solidarité, aider les gens âgés isolés, apprendre à lire aux enfants, que sais-je encore. Ce sont des petites choses mais on peut se dire que c'est par là qu'on se raccroche à la démocratie. » X, Y ou Z, qu'importe alors, seul compte le partage du jardin et l'échange des tomates « Du coup, ce qui fait la différence, ce n'est pas du tout l'âge mais le fait que les gens habitent au même endroit, le même village, le même quartier, et ont envie de se retrousser les manches. Parfois, ils ont 7 ans, parfois ils ont 97 ans. »

Lire. Et si les vieux aussi sauvaient la planète ? de Serge Guérin. Éditions Michalon. 256 pages, 20 ?.

Nathalie Van Praagh [email protected]