À l'attaque d'Ithaque
Mathieu Braunstein
Des collines drapées d'oliviers. Des petits ports et des plages qui s'éparpillent au bord d'une mer turquoise… Cette île ionienne vit naître la mythique Odyssée.
Dans les pasd'Ulysse et Pénélope
La longue rue qui descend vers le centre de Vathy, capitale d'Ithaque, porte le nom de Pénélope. On s'attendrait à ce qu'elle rejoigne la rue Ulysse une fois arrivée au port, en référence au couple mythique, roi et reine du pays. Mais au niveau d'un petit café ombragé, face à l'agence Odyssey Outdoor proposant des sorties en kayak de mer, la rue Pénélope oblique vers les terres, sans croiser la rue Ulysse, qui part se perdre à l'arrière du port.
Petite île montagneuse de l'ouest de la Grèce, Ithaque est la terre d'Ulysse, évoquée par Homère au viiie siècle avant notre ère, du moins voudrait-on s'en persuader. Mais dans ce port animé, particulièrement apprécié des Britanniques, qui administrèrent l'archipel des îles Ioniennes pendant une partie du xixe siècle, les traces du héros de la guerre de Troie et de sa patiente épouse sont éparses. Elles se matérialisent sur le port par quelques statues contemporaines, tel ce buste d'Homère en marbre, copie de l'antique. Et juste à côté par une improbable double représentation d'Ulysse, dans un bronze d'un vert éclatant, figurant le héros debout, désarmé mais prêt à en découdre, et à la rame, défiant les éléments déchaînés. Quant à la statue de Pénélope assise, œuvre de style néocycladique signée Kosma Dovletoglou, un artiste local, elle a été placée un peu plus loin, devant un petit supermarché.
Seul port en eaux profondes d'Ithaque, protégé à l'ouest par la haute montagne reliant les deux parties de l'île, le site de Vathy incite à la promenade, à la baignade et au farniente. À l'est s'élève en pente douce une plaine agricole, constellée d'oliviers. Cyprès et chênes verts y apparaissent moins roussis par la sécheresse que la végétation des pentes occidentales de l'île. Les dernières maisons, de l'autre côté de la baie, précèdent la petite plage de Loutsa, où les enfants de la localité apprennent à nager.
Avec ses terrasses, son mini-centre culturel (rue Anastasiou-Kallinikou) et ses commerces où viennent se ravitailler les plaisanciers, Vathy se rêve volontiers capitale d'un micro-royaume de la Grèce antique. Mais les dernières recherches archéologiques nous orientent définitivement vers le nord d'Ithaque, au-delà de la montagne escarpée reliant les deux parties de l'île. Du côté de Stavros, pour commencer. Pour nous rendre dans ce village situé à 16 kilomètres au nord, deux possibilités : réserver un taxi (30 euros) ou prendre place à bord du bus de ramassage scolaire. Là, une autre Ithaque se révèle, plus agricole et tournée vers Céphalonie, la grande île voisine.
Stavros signifie « croix » en grec. Et c'est bien à la croisée de deux routes que se trouve cette bourgade tranquille : celle de Vathy qui se prolonge à travers les vergers vers les villages de Platrithias et Exogi ; et une autre desserte qui remonte de la plage de Polis pour rejoindre, après le carrefour, le petit port de Kioni. L'élégante terrasse du café To Kentro marque le centre du bourg. De l'autre côté de la rue, l'église de la Transfiguration, un peu massive, un peu voyante, vient rappeler, dans ses tons jaune orangé, le poids de la religion en ces terres orthodoxes. Mais c'est surtout le jardin municipal et son petit kiosque ouvert de jour comme de nuit qui retiennent l'attention du visiteur parti sur la trace du héros de la guerre de Troie. À l'abri de l'édicule, une maquette reconstitue en modèle réduit le site mis au jour par une équipe d'archéologues grecs en 2010 : un palais dans la pente, fait de blocs cyclopéens, laissant apparaître un grand escalier… qui serait celui qu'auraient emprunté Pénélope et ses suivantes il y a trente-trois siècles. À quelques kilomètres du village, il est possible d'accéder à ce chantier de fouilles inexplicablement baptisé « école d'Homère ». Malgré l'absence de panneaux explicatifs et de cartels, on se prend à rêver à « la cour rehaussée d'une enceinte à corniche et [aux] portes à deux battants bien fermées » décrites dans L'Odyssée (trad. P. Jacottet, éd. La Découverte, 2004). À travers les oliviers, dominé par le village assoupi d'Exogi, ce site un peu abandonné est quoi qu'il en soit magnifique, offrant une vue sur la baie d'Afales, tout au nord de l'île. Et sa plage de galets bordée de hautes falaises calcaires, que l'on atteint après quelques lacets d'une route ombragée. Le regard y porte loin sur les récifs de la mer Ionienne intérieure •
Par Mathieu Braunstein