FIGURE DE STYLE
Syllepse
Hélène Gestern
La syllepse, du grec sullêpsis («action de prendre ensemble») est une figure qui consiste à conférer, en un seul emploi, son sens propre et son sens figuré à un mot. Lorsque Pyrrhus supplie Andromaque et se déclare:«Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé/Brûlé de plus de feux que je nen allumai»(Andromaque), il fait certes allusion à l’incendie de Troie par les Grecs, mais aussi (mais surtout...) au feu de la passion qui le ronge pour sa prisonnière. Ce qui caractérise la syllepse est ici sa richesse poétique, magnifiquement exploitée par la tragédie classique. Dans un registre plus léger, la figure ouvre également la porte aux jeux polysémiques:l’un de nos experts préférés, Queneau, le démontre avec subtilité dans le poème La Chair chaude des mots, où il compare ces derniers à des animaux. «Prends ces mots dans tes mains et sens leurs pieds agiles»:le substantif «pieds»renvoie à l’extrémité corporelle (amorce de la métaphore qui structure le poème), mais aussi à la mesure antique utilisée pour la scansion des vers. Enfin, quand elle se fait calembour, la syllepse devient une arme comique imparable. Cest ainsi que, dans Le Mariage forcé de Molière, Pancrace, pédant philosophe qui demande à Sganarelle de quelle langue il veut se servir avec lui – puisque l’une de ses savantes oreilles est réservée au français – se voit répondre par un interlocuteur exaspéré:«Parbleu ! de la langue que jai dans la bouche. Je crois que je nirai pas emprunter celle de mon voisin.»