Majorité introuvable, censure, appel à la démission : Emmanuel Macron, la dissolution du pouvoir
Florent Barraco
04/01/2025 à 07:47
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« La malédiction du second mandat » 4/4. L'année 2024 s'est conclue par une instabilité politique inédite sous la Ve République. Depuis sa réélection, Emmanuel Macron voit les nuages s'amonceler.
La Marseillaise retentit. Soudain, un clip de près de trois minutes se lance : « les fiertés françaises » de 2024 sont célébrées : les Jeux olympiques - dont l'hymne de Victor Le Masne est joué pendant la séquence les 80 ans du Débarquement ou l a réouverture de Notre-Dame-de-Paris. La voix d'Emmanuel Macron raconte cette année particulière. Une réflexion frappe à l'esprit pendant cet exercice inédit : le président de la République s'est effacé, comme une conséquence de la nouvelle situation politique. Soudain, Emmanuel Macron apparaît à l'image : la France a toujours un visage.
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Qu'elle semble loin la performance de mai 2022. Après un premier quinquennat marqué par les crises (sociales, sanitaires, géopolitiques), Emmanuel Macron est réélu sans (presque) faire campagne. Il devient le seul président de la Ve République à rester à l'Élysée sans avoir tiré parti d'une cohabitation - de Gaulle a été élu au suffrage universel qu'une fois, en 1965. L'homme qui a balayé tous les pronostics - en 2017, après les Gilets jaunes ou lors de la crise du Covid - est-il capable d'échapper à la malédiction du second mandat ?
Le roi est Nu (pes)
Première surprise : alors que le pays a voté à plus de 60 % à droite au premier tour, le chef de l'État nomme Élisabeth Borne, plutôt classée à gauche. En pleine campagne des législatives - qui doivent normalement confirmer le résultat de la présidentielle -, Macron disparaît. Plus de son, plus d'image. En face, la gauche se rassemble autour de La France insoumise. La Nupes est née avec un slogan : « Mélenchon Premier ministre ». Le Rassemblement national fait campagne, rêvant de revanche. Les macronistes sont seuls. Surprise : au premier tour, Ensemble devance d'un rien la Nupes. Coup de tonnerre. Emmanuel Macron se présente, enfin, en improvisant une conférence sur le tarmac d'Orly. « Parce qu'il en va de l'intérêt supérieur de la Nation, je veux vous convaincre de donner dimanche une majorité solide au pays », déclare-t-il. C'est raté : la majorité ne sera que relative et il manque 51 sièges que Borne devra aller chercher à chaque texte. Le roi est Nu (pes).
Tel est le fondement de cette malédiction. Le reste ne découle que de cette absence de majorité. Élisabeth Borne devient « Madame 49.3 » - notamment sur la réforme des retraites qui fracture le pays. Chacun sait qu'une motion de censure va finir par être votée. Mais quand ? En attendant, le chef de l'État fait feu de tout bois surtout que les échéances des Jeux olympiques ou de Notre-Dame approchent. Après l'attaque du 7 octobre, le chef de l'État refuse de participer à la manifestation contre l'antisémitisme. « La place d'un président de la République n'est pas d'aller à une marche », fait-on savoir. Une absence qui marque les esprits au point que son nom sera hué lors du dîner du Crif, le 7 octobre 2024. Autre moment compliqué : le Salon de l'agriculture. Emmanuel Macron est pris à partie lors de sa traditionnelle visite. Comme lors du grand débat, la magie du verbe présidentiel lui fait gagner du temps.
Crash des européennes
Les Européennes approchent. Elles s'annoncent difficiles pour le camp présidentiel. La candidature de Valérie Hayer n'imprime pas, Jordan Bardella s'avance comme le grand vainqueur du scrutin. Pis, le candidat de la gauche, Raphaël Glucksmann est en passe de dépasser Hayer. Elle garde la deuxième place, mais le candidat du Rassemblement national fait le double d'elle (31,3 % contre 14,6 %). Après avoir « gaspillé » la carte du changement de Premier ministre en janvier - Gabriel Attal a remplacé Élisabeth Borne -, Emmanuel Macron décide de prendre la parole aux alentours de 21 heures. Avant, il réunit un petit cercle restreint pour leur annoncer la nouvelle : il a décidé de dissoudre l'Assemblée. Stupeur et incompréhension.
Quel serait le gain politique ? Après une claque pareille, comment obtenir une majorité que l'on n'a pas eue après une réélection ? Le pari macronien est simple, prendre tout le monde de court et empêcher les alliances. Le Nouveau front populaire met 24 heures à se former. La gauche s'unit. Cinq semaines après la défaite des européennes, Emmanuel Macron perd les législatives : ils avaient 248 députés, ils ne sont plus que 164. Le Rassemblement national est le premier parti de l'hémicycle, l'alliance de gauche la première force. L'Assemblée est introuvable. Les JO approchent, une trêve est décrétée. Reculer pour mieux sauter.
2024, « annus horribilis »
La France se cherche un nouveau Premier ministre. Après des semaines d'un feuilleton lassant, le maître des horloges (déréglées) nomme Michel Barnier. Une cohabitation s'installe : le président préside, le Premier ministre dirige. « À défaut de pardon, laisse venir l'oubli », écrit Musset. En quelques jours, le Savoyard doit préparer un budget explosif, car, entretemps, la situation économique de la France s'est dégradée. Barnier, qui n'avait plus fréquenté l'hémicycle depuis 2009, découvre une « Assemblée impossible ». Il tombe le 5 décembre. Pour la première fois depuis 1962, une motion de censure est votée. Emmanuel Macron doit se résoudre à trouver un quatrième ministre en moins d'un an - un record ! Le président boit le calice jusqu'à la lie quand François Bayrou s'impose à lui et s'installe à Matignon. Valls, Borne, Rebsamen… Le nouveau gouvernement sent bon l'Ancien monde. Nouvelle provocation.
« 1992 n'est pas une année dont je me souviendrai avec un plaisir inaltéré. Selon les mots de l'un de mes correspondants les plus sympathiques, elle s'est avérée être une « annus horribilis ». Je pense que je ne suis pas la seule à le penser », avait déclaré la reine Élisabeth II dans un discours poignant. Moins dramatique, le 31 décembre 2024, Emmanuel Macron s'adresse donc aux Français et esquisse un mea culpa dans un exercice de lucidité d'une dizaine de minutes. Le succès des Jeux olympiques et la réussite de la réouverture de Notre-Dame n'auront pas inversé la tendance. « Si tu es enclume, supporte ; si tu es marteau, cogne », dit le proverbe arabe. Alors le chef de l'État a sorti une nouvelle martingale : la possibilité de référendum. Avec le risque que l'instabilité politique ne gagne l'Élysée - les appels à la démission se multiplient dans les oppositions, balayés par le président. Comme dans les tragédies grecques, on a beau se débattre, on ne lutte pas contre les malédictions.
La malédiction du second mandat, la série
Rivalités internes, échecs politiques, maladie… Le lent effacement de Jacques Chirac
Affaires, maladie, double vie, Vichy, crise politique… Le chemin de croix de François Mitterrand
Mai 1968, référendum raté, démission… Le général de Gaulle reste sur sa fin
Emmanuel Macron, le 21 décembre 2024. © Nicolas MESSYASZ/SIPA / Nicolas MESSYASZ/SIPA
Emmanuel Macron, le 21 décembre 2024. © Nicolas MESSYASZ/SIPA / Nicolas MESSYASZ/SIPA
Emmanuel Macron, le 21 décembre 2024. © Nicolas MESSYASZ/SIPA / Nicolas MESSYASZ/SIPA
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This article appeared in Paris Match (site web)