Le Point.fr, no. 202501
Postillon, dimanche 19 janvier 2025 3211 words

Luc Ferry : « J'ai perdu la foi quand on m'a obligé à aller à la messe »

Propos recueillis par Jérôme Cordelier

DIEU DANS LES YEUX. Athée, le philosophe déplore que ses collègues ne s'intéressent plus aux interrogations sur la sagesse, le sens et la vie bonne.

Une somme qui se lit comme un roman. Le nouveau livre de Luc Ferry est une belle synthèse précise, enlevée et réjouissante des philosophies, sagesses, religions qui, depuis l'Antiquité, forment la matrice spirituelle du monde et en font vibrer l'âme. Son titre : Apprendre à vivre. Traité de philosophie et de mythologie à l'usage des jeunes générations (Plon). Essayiste et chroniqueur à succès, professeur des universités, ancien ministre de l'Éducation nationale sous Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, Luc Ferry intervient à intervalles réguliers pour décrypter les questions d'actualité d'une position en retrait, en surplomb pourrait-on dire, en puisant dans ce savoir ancestral. Athée - « clairement », précise-t-il -, le philosophe a, néanmoins, longuement étudié le christianisme et les spiritualités et déplore que ses collègues penseurs contemporains aient déserté ce champ, comme il l'explique dans cet entretien aux airs de « disputatio ».

Le Point : Dans votre livre, vous parlez beaucoup de la relation entre philosophie et christianisme. Confrontation, compagnonnage... Comment a évolué ce rapport au fil des siècles ?

Luc Ferry : Depuis sa naissance, le christianisme n'a cessé de critiquer la prétention de la philosophie, et d'abord, bien sûr, de la philosophie grecque, à vouloir répondre par la seule raison à la question du sens de la vie, de la sagesse et de la vie bonne. C'est dans cet esprit que saint Augustin ne cesse d'interpeller les philosophes de son temps, des néoplatoniciens, par ces mots : « Vous, les superbes ! » autrement dit : « Vous, les arrogants, les orgueilleux, qui prétendez vous en tirer sans Dieu ! » Il y aura bien sûr de grands penseurs chrétiens d'Augustin à Simone Weil en passant par Thomas d'Aquin ou Pascal. On les appelle souvent « philosophes », l'appellation étant mal contrôlée, mais je préfère parler de « penseurs » puisqu'à un moment, comme le dit Kant, ils doivent forcément « abandonner le savoir pour faire place à la croyance » en des vérités révélées, ce qui fait clairement entrer dans le domaine de la religion et quitter celui de la philosophie qui, à son plus haut niveau, a toujours été, paradoxalement même chez les philosophes par ailleurs croyants, une spiritualité rationnelle et laïque (je vais revenir sur ces termes). Bien sûr, comme le dit déjà saint Paul, il faut user de sa raison pour comprendre les paraboles du Christ, le christianisme n'est pas un irrationalisme, mais encore une fois, les vérités révélées sont à ses yeux supérieures à celles de la raison même s'il n'y a pas de contradictions entre elles. Ne mélangeons donc pas les deux domaines, il n'y a que confusion à y gagner...

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Vous avez une vaste connaissance du christianisme dont vous citez souvent les références dans vos livres et vos interventions. Quel est votre rapport à la religion ?

À la demande de Benoît XVI, j'ai en effet écrit avec son ministre de la Culture, le cardinal Ravasi, un livre (Le Cardinal et le Philosophe, chez Plon) sur une question que le pape nous avait lui-même soumise : « Quelle est la signification du message de Jésus pour les non-croyants ? ». Benoît XVI voulait, après avoir poursuivi le dialogue interreligieux, ouvrir ce qu'il appelait le « Parvis des gentils », c'est-à-dire le dialogue avec les athées. Nous avons abordé ensemble, Ravasi du point de vue de l'Église, moi d'un non-croyant, les plus belles questions théologiques : celle du mal et du démoniaque, de l'amour, de la laïcité, du salut, de la sagesse... Bien qu'on ne puisse évidemment pas démontrer la non-existence de Dieu, je suis malgré tout clairement athée, sans Dieu. Pas de malentendu : j'ai souvent dit que si je devais garder un seul livre sur l'île déserte, ce serait l'Évangile de Jean. Simplement, je continue à penser que me laisser aller à croire en la résurrection, en la « bonne nouvelle » (en grec : eu-angellion = évangile) des retrouvailles post-mortem avec ceux que nous avons aimés est une facilité, pour ne pas dire une lâcheté, car au fond de nous, nous savons bien qu'on se raconte ça pour se consoler de ce que la mort d'un être aimé peut avoir d'insupportable. Comme l'a dit Schopenhauer, « la mort est le musagète de la religion », sans elle on n'aurait jamais inventé de doctrines du salut. Je respecte ceux qui croient en Dieu, je les comprends, mais fût-ce à regret, je n'y cède pas, en gros et en substance parce qu'il n'y a aucune « raison rationnelle » d'y croire, qu'on n'a jamais vu personne revenir de la mort ni nous parler depuis le ciel et que, comme le disait Diderot, si un « Dieu le Père » bon et tout-puissant veillait sur nous, le mal qui frappe tous les jours de manière aussi absurde qu'injuste des milliers d'innocents n'existerait pas...

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La spiritualité, est-ce quelque chose qui a compté dans votre éducation ? Chez vos parents ? À l'école ?

J'ai reçu, comme (presque) tout le monde à cette époque (les années 1950), une éducation chrétienne. Ma mère était proche des prêtres ouvriers qui lui avaient demandé de faire le catéchisme. J'avais 5 ans, c'étaient des types bien, et je me souviens que j'aimais déjà beaucoup leur poser des questions... J'avais la foi bien sûr, et je l'ai perdue quand on m'a obligé à aller à la messe et que j'ai trouvé que la parole des prêtres sonnait presque toujours faux, même leurs voix me paraissaient compassées, précieuses, maniérées, ce qui me donnait à réfléchir. Plus tard, j'en ai souvent parlé avec Lustiger, mais aussi avec soeur Emmanuelle, qui fut ma meilleure amie possible, et j'ai bien compris qu'elle n'était pas loin de penser comme moi. Il ne faut évidemment pas généraliser, il y a des religieux et des religieuses magnifiques, mais sans parler de l'abbé Pierre, quand je vois aujourd'hui le nombre de prêtres accusés de pédophilie (plus de 20 000 dans le monde !), je pense que l'enfant que j'étais n'avait pas tout à fait tort de s'interroger...

Je suis comme vous le savez un chaleureux partisan de la laïcité, mais les visions laïcardes du monde qui veulent exclure le fait religieux des programmes scolaires sont absurdes.

Vous rappelez qu'étudiant en 1968, les religions n'étaient pas au programme, ce qui peut paraître étonnant. Vous avez appris sur le tas ?

Je suis comme vous le savez un chaleureux partisan de la laïcité, mais les visions laïcardes du monde qui veulent exclure le fait religieux des programmes scolaires sont absurdes. Il faut absolument enseigner le fait religieux, non de façon confessionnelle, bien sûr, mais au nom de la culture. Impossible de comprendre les toiles accrochées au Louvre sans un minimum de culture théologique. Voilà pourquoi, en tant que ministre de l'Éducation, j'ai décidé d'introduire un enseignement du fait religieux dans les cours d'histoire et de littérature...

Vous soulignez que la philosophie est un vecteur de liberté et d'intelligence au contraire de la religion puisqu'il « s'agit plus de penser par soi-même que de croire par un autre ». Est-ce toujours le cas de nos jours, d'après vous ?

Dis comme ça, c'est un peu brutal et un peu court. Essayons d'aller plus loin. Qu'est-ce que le religieux à côté des autres formes de vie de l'esprit, la science, la philosophie, l'art, la politique ? L'étymologie ne nous aide guère, d'abord parce qu'il y en a déjà plusieurs depuis les auteurs latins comme Cicéron ou Lactance, jusque chez les plus grands théologiens, deux étymologies qui divisent encore les érudits. La première, relegere, de loin la plus probable, renvoie à l'idée de recueillement ou de relecture - on peut l'argumenter à partir de l'exigence déjà formulée par saint Paul dans les Épîtres aux Corinthiens, de lire et de relire sans cesse, avec recueillement et pour recueillir la parole divine, les textes sacrés - ou encore, comme dit Augustin, de « relire Dieu en soi », voire de le ré-élire (re-eligere), selon un jeu de mots qu'affectionnait l'évêque d'Hippone et qui vient préciser le sens de la relecture : il s'agit de s'approprier, de faire sien le rapport au divin en passant par la médiation des Saintes Écritures. L'autre étymologie, religare, la plus communément citée, mais sans nul doute la moins probable, renvoie à l'idée de lien, à vrai dire à l'idée d'un double lien, la religion étant non seulement ce qui nous relie à Dieu, mais aussi ce qui relie les hommes entre eux pour former des communautés, des églises. Cette dernière étymologie, bien que peu crédible, offre néanmoins le mérite de nous mettre sur la piste d'une des définitions possibles de ce qui fait l'essence du religieux. Pour aller à l'essentiel, on pourrait dire qu'il existe trois compréhensions des finalités essentielles du religieux.

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Une première fonction, consiste, donc, à relier non seulement les individus à un troisième terme, le divin, extérieur et supérieur à eux, mais ce troisième terme étant commun, à les rassembler entre eux pour former des communautés. Sur le plan politique, la religion servirait avant tout à cela, à forger des espaces communs, des « communautarismes ». La deuxième fonction, qui découle en partie de la première, c'est que la religion, dans la mesure où elle relie les hommes entre eux par un terme transcendant, Dieu, tient par excellence le discours de l'hétéronomie : d'un point de vue religieux, la seule loi qui vaille, qui s'impose absolument en cas de conflit avec les lois de la cité édictées par les humains, c'est celle qui vient de Dieu, c'est-à-dire d'ailleurs, du dehors, mais aussi d'avant, la transcendance s'entendant dans l'espace, mais aussi dans le temps. Là est la différence principale avec la philosophie et la démocratie modernes qui plaident toujours pour l'autonomie, pour le « penser par soi-même » et pour « se donner soi-même sa loi ». Enfin, il existe bien évidemment une troisième fonction des religions, celle qui vise à répondre à la question de la vie bonne, du souverain bien, de la vie bienheureuse, c'est-à-dire à la question du salut, de ce qui nous sauve du malheur et, finalement, de la mort - qui est, comme l'avait vu Schopenhauer, leur sujet principal. C'est là qu'éclatent au grand jour tout à la fois la proximité et la différence entre religion et philosophie : toutes deux cherchent à définir la vie bonne, la sagesse et le salut (voyez Épicure, Épictète, Spinoza, et même Nietzsche avec sa doctrine de l'éternel retour, etc.), mais à la différence des religions, les grandes philosophies ne le font pas par Dieu et par la foi, mais elles prétendent, non sans arrogance aux yeux des croyants, le faire avec les « moyens du bord », par soi-même et par la lucidité de la raison.

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Notre siècle est celui de « l'homme-Dieu » comme vous le disiez dans un essai il y a quelques années. Croit-il qu'il peut tout régler et se passer de transcendance ?

L'homme-Dieu est le titre que j'ai donné à un de mes livres (L'homme-Dieu ou le sens de la vie, chez Grasset) pour désigner ce que j'appelle la « sacralisation de l'humain ». C'est tout sauf la fin de la transcendance ! Encore moins l'idée qu'on peut tout régler sans elle. C'est même exactement l'inverse, la découverte, enfin, de la véritable transcendance, ce que j'appelle en suivant Husserl, la transcendance « horizontale », celle qui va d'homme à homme, à la différence de la verticale qui nous tombe dessus d'en haut, du divin, de la nation, d'un monarque, d'un Führer, etc. Contrairement aux matérialistes, je pense en effet qu'il y a de la transcendance pour l'être humain même s'il est athée : transcendance de la vérité par rapport à ma subjectivité (je n'y peux rien, 2 + 2, ça fait 4 !), mais aussi des valeurs morales et même esthétiques (je n'ai jamais entendu dire : « Bach, c'est nul ! »). Mais la sacralisation de l'autre est liée bien sûr à la logique de l'amour qui nous fait considérer l'être aimé comme sacré. Le sacré, contrairement à une opinion courante mais superficielle, ce n'est pas simplement l'opposé du profane, l'espace du religieux face au monde séculier. D'évidence, il existe aussi du sacré dans le monde laïque, car le sacré, entendu en son sens le plus profond, c'est ce qui définit d'un même mouvement le sacrifice et le sacrilège, ce pourquoi, à la limite, je pourrais mourir ou tuer, donner ma vie ou entrer en guerre. C'est donc toujours par rapport à lui que se pose la question du sens de la vie, fût-ce de manière implicite, sans même que nous y pensions, car le sacré, même laïque, définit les valeurs à nos yeux les plus hautes, celles qui sont le cas échéant supérieures à la vie...

Évitons une double confusion hélas fréquente : il faut surtout éviter de confondre morale et spiritualité, mais plus encore, de confondre religion et spiritualité.

Vous avez beaucoup travaillé sur l'écologie, la considérez-vous comme une nouvelle religion ?

Non, c'est à la fois une morale et une spiritualité qu'on pourrait dire « cosmologiques », donc tout à fait laïques. Évitons une double confusion, hélas, fréquente : il faut surtout éviter de confondre morale et spiritualité, mais plus encore, de confondre religion et spiritualité. Il y a en effet des spiritualités laïques. Les choses peuvent être dites simplement. La morale, en quelque sens qu'on l'entende et quelle que soit sa doctrine de référence, c'est toujours d'abord et avant tout le respect de l'autre, à quoi il faut ajouter si possible la bienveillance : je me conduis moralement avec mes proches comme avec les inconnus quand je les respecte a priori et que je leur apporte le cas échéant mon aide s'ils en ont besoin, quand je leur reconnais un droit imprescriptible à penser autrement que moi et que, même dans cette hypothèse, je fais ce que je peux pour leur rendre la vie plus douce et plus facile. Pour nous, Européens d'aujourd'hui, la morale commune a pris pour l'essentiel la forme d'une charte, celle des droits de l'homme, à laquelle il convient d'adjoindre la volonté de bien faire, d'aider activement les autres - ce qu'on appelle, au sens propre, la bienfaisance, la générosité et, lâchons le mot, la gentillesse.

Mais, rêvons un peu et imaginons un instant, pour le plaisir de la réflexion, que nous disposions d'une baguette magique qui nous permettrait de faire en sorte que d'un seul coup d'un seul, tous les êtres humains en ce monde se conduisent de manière parfaitement morale les uns vis-à-vis des autres. Il est clair que dans ces conditions, il n'y aurait plus sur cette planète ni massacres, ni viols, ni vols, ni meurtres, ni injustices, ni guerres, ni génocides. À la limite, nos nations n'auraient plus besoin d'armée, de police, de prisons, ni de système judiciaire répressif. Ce serait tout simplement une révolution. Pourtant, et là apparaît en pleine lumière la différence entre valeurs morales et valeurs spirituelles, cela ne nous empêcherait ni de vieillir, ni de mourir, ni de perdre un être cher, de faire l'épreuve du deuil d'un être aimé, ni même, le cas échéant, d'être malheureux en amour, d'être amoureux de qui ne nous aime pas ou, tout simplement, de nous ennuyer au fil d'une vie quotidienne engluée dans la banalité. Allons plus loin : de même que les valeurs spirituelles ne se réduisent nullement à des valeurs morales, il faut bien comprendre qu'il existe deux types de spiritualités. Les unes procèdent avec Dieu, et ce sont bien sûr les religions qui entendent définir la vie bonne, la « vie bienheureuse » comme dit saint Augustin, par référence à un dieu et en passant, pour l'essentiel, par la foi. Les autres, et ce sont les grandes philosophies, visent la même finalité, mais par soi et par la raison, par l'être humain et la lucidité de la rationalité scientifique.

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Qu'en est-il aujourd'hui ?

L'une des grandes faiblesses intellectuelles d'une grande partie de la philosophie contemporaine à mes yeux, c'est que, sous l'effet de la montée en puissance conjointe des sciences humaines et des pensées du soupçon, la philosophie a cédé à cette tendance fâcheuse qui consiste à déserter les interrogations sur la sagesse, le sens et la vie bonne, à fuir le terrain de la spiritualité, fût-elle résolument laïque, pour l'abandonner aux religions. Du coup, la philosophie s'est la plupart du temps réduite à n'être qu'une histoire des idées critiques de la tradition, une déconstruction généalogique ou archéologique des pensées antérieures. Et quand elle a voulu être plus positive, elle s'est pour l'essentiel limitée à une réflexion sur la sphère morale et politique, comme on le voit par exemple chez des auteurs, par ailleurs respectables, tels que Rawls ou Habermas. Cette réduction de la philosophie à une simple morale ou à une « théorie de la société » s'est accompagnée parfois de ce qu'on appelle une épistémologie, une réflexion sur la connaissance touchant les sciences dures (Popper en est un bon exemple), voire les sciences humaines (Habermas en est un autre). Mais dans tous les cas, on a déserté l'essentiel de la philosophie, ce qui faisait son nom et son but : la sagesse, le sens, cet apprentissage de la vie bonne sans lequel la notion même de philo-sophia n'aurait plus la moindre raison d'être encore maintenue. La philosophie de l'écologie, de ce point de vue, s'inscrit clairement, du moins quand elle cesse de se confondre avec la politique, dans un retour vers une nouvelle forme de spiritualité laïque.

Espère est le titre de l'autobiographie du pape François qui sort ces jours-ci. Les philosophies, soulignez-vous dans votre livre, sont des pensées sans espérance...

Pas toutes les philosophies, loin de là. Mais il est vrai que du point de vue des sagesses anciennes, qu'il s'agisse du stoïcisme, de l'épicurisme, du taoïsme ou du bouddhisme, l'espérance est la passion la plus funeste qui soit, c'est une pure « négativité » : si j'espère être riche, aimé et en bonne santé, c'est que je suis pauvre, mal aimé et malade ! Mais pire encore, je ne sais pas quand je serai enfin comblé, car la plupart du temps, ça ne dépend pas de moi. Frustration, ignorance, impuissance : telles sont les caractéristiques de l'espérance aux yeux des bouddhistes et des stoïciens, et ce d'autant plus que cette passion triste comme dira Spinoza, nous empêche d'habiter le présent, de vivre le fameux le carpe diem d'Horace, de séjourner paisiblement dans l'ici et le maintenant. Pour les anciens, le sage est celui qui ne vit pas dans les regrets, les nostalgies, les culpabilités ; il ne vit pas dans le passé, mais il ne vit pas non plus dans l'espérance, dans le futur. Nous sommes ici à l'opposé du message christique. Jean-Paul II a publié un ouvrage intitulé Entrez dans l'espérance, le sage stoïcien ou bouddhiste, quant à lui, vous dira plutôt : « Surtout, n'y entrez pas ! » Si nous voulons parvenir à habiter le présent, à nous débarrasser des illusions de la fuite en avant et de la consommation, si nous voulons parvenir à faire en sorte que l'instant soit un fragment d'éternité, il faut se sortir de la logique de l'espérance. Ce débat entre sagesses anciennes et christianisme est redevenu d'actualité comme jamais, et bien entendu, ici, je le laisse ouvert à la réflexion de nos lecteurs...

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