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Wednesday, January 15, 2025 903 words, p. 34
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Opinion - Canada, Groenland, Panama : comment expliquer l’ambition impériale de Trump ?

La rhétorique trumpienne flatte la nostalgie nationaliste. Mais ses ambitions territoriales rappellent les tragédies de l’hubris grecque, où des héros comme Achille ou Créon se heurtaient aux limites de leur puissance.

Les récentes déclarations de Donald Trump sur l’annexion possible du Canada comme “51e État des États-Unis”, ou encore son offre controversée d’acheter le Groenland au Danemark, résonnent comme un écho lointain des ambitions expansionnistes qui ont marqué l’histoire américaine. Loin d’être de simples provocations ou excentricités, ces idées s’inscrivent dans une tradition historique et universelle, où l’expansion territoriale symbolise le pouvoir et nourrit un certain populisme. En liant ces ambitions aux grandes tragédies de l’histoire humaine, de l’ hubris grecque (NdlR : ivresse de la démesure) à l’impérialisme moderne, nous explorons ici la rhétorique trumpienne et ses ramifications.

L’esprit de conquête

Depuis le XVIIIe siècle, l’histoire américaine s’est bâtie sur l’idée d’une expansion inéluctable, légitimée par le concept de “destinée manifeste”. L’achat de la Louisiane en 1803, l’acquisition de l’Alaska en 1867, ou encore le dépècement du Mexique dans les années 1840 témoignent de cet appétit territorial. Dans ce contexte, la déclaration de Trump concernant le Groenland rappelle étrangement l’achat de l’Alaska à la Russie par Andrew Jackson, surnommé à l’époque “la folie de Seward”. L’idée d’annexer le Canada n’est pas non plus une nouveauté. Pendant la guerre de 1812, les États-Unis ont tenté – sans succès – d’envahir leur voisin du Nord. Ces échecs n’ont pas empêché certains leaders américains de maintenir ce rêve annexionniste à travers les siècles. Trump, en évoquant cette idée dans un contexte contemporain, réactive donc une mémoire historique qui flatte une certaine nostalgie nationaliste.

Galvaniser sa base électorale

Trump est un maître de la rhétorique populiste, et ces propositions s’inscrivent dans une logique de violence symbolique. Il ne s’agit pas ici de plans stratégiques élaborés, mais de messages adressés à une base électorale en quête de grandeur perdue. Le Groenland, par son immensité et ses ressources naturelles, devient un symbole de puissance économique et géopolitique. De même, l’annexion hypothétique du Canada permet à Trump de flatter une vision nostalgique de la domination américaine en Amérique du Nord. La violence symbolique réside dans le fait de réduire des territoires et des peuples à de simples instruments de pouvoir, tout en ignorant les réalités historiques et les résistances potentielles. Le canal de Panama, évoqué par Trump avec la menace d’un contrôle militaire, en est un autre exemple : un lieu stratégique transformé en levier d’affirmation de la puissance américaine.

Achille, Créon, Napoléon, et au-delà

Les ambitions territoriales de Trump ne sont pas sans rappeler les tragédies de l’ hubris grecque, où des héros comme Achille ou Créon se heurtaient aux limites de leur puissance. Comme eux, Trump incarne une figure où l’orgueil démesuré – ou hubris – mène à des ambitions qui défient la réalité. Créon, dans Antigone , refuse de céder, même lorsque la sagesse l’y invite. Achille, dans sa quête de gloire éternelle, sacrifie tout, y compris son propre équilibre. Plus près de nous, Napoléon, Hitler et Staline illustrent également cette dynamique d’une ambition impériale poussée à l’extrême, où l’idée de domination territoriale devient une fin en soi. Ces figures tragiques permettent de réfléchir à la trajectoire d’un dirigeant dont les ambitions, qu’elles soient rhétoriques ou réelles, pourraient déstabiliser un équilibre fragile.

Groenland et Alaska

L’offre d’achat du Groenland peut sembler farfelue, mais elle rappelle que l’Alaska, aujourd’hui une des pièces maîtresses de l’économie américaine, fut autrefois une acquisition controversée. En 1867, cette immense terre glacée semblait inutile, mais elle s’est révélée une source inestimable de richesses naturelles et une position géostratégique clé. Trump, en proposant d’acquérir le Groenland, semble jouer sur ce même imaginaire : une terre froide et inhospitalière, mais pleine de promesses.

Rhétorique toxique et anachronique

Cependant, là où les ambitions impérialistes d’hier trouvaient des opportunités, le monde contemporain impose des limites. Le Groenland appartient à un Danemark qui ne se laisserait pas dépouiller sans résistance. Le Canada, protégé par des alliances internationales, est loin d’être un territoire disponible. Trump semble ignorer ces contraintes en poursuivant une rhétorique ancrée dans une logique de puissance unilatérale. Dans un monde marqué par l’interdépendance économique, écologique et géopolitique, ces ambitions symboliques risquent davantage de provoquer des tensions que de consolider un quelconque pouvoir.

Populisme et hubris : cocktail explosif

Donald Trump, en revendiquant des ambitions territoriales, s’inscrit dans une longue tradition de dirigeants portés par l’ hubris , où le rêve de grandeur devient une obsession. Mais contrairement aux héros tragiques ou aux impérialistes du passé, Trump évolue dans un monde où la conquête territoriale est plus symbolique que réelle. Sa rhétorique, bien que destinée à galvaniser, reflète une incompréhension des dynamiques complexes de notre époque. Si ces ambitions servent surtout à flatter un électorat populiste, elles soulèvent néanmoins des questions fondamentales : jusqu’où la quête de grandeur peut-elle aller sans heurter les réalités contemporaines ? Et que reste-t-il des rêves impérialistes dans un monde où la puissance ne se mesure plus uniquement en kilomètres carrés ?

Titre et chapô sont de la rédaction. Titre original : “Trump : populisme, violence symbolique et expansion territoriale”

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