Libération
vendredi 3 janvier 2025 616 words, p. 27

AUTRE

Le Mucem fait le retour du monde

Sonya Faure Envoyée spéciale à Marseille

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Avec «Revenir», le musée marseillais réunit oeuvres et objets personnels pour raconter les retours, réels ou fantasmés, de ceux qui avaient quitté leur terre, dans une exposition qui fait écho avec l'actualité.

I l y a beaucoup de pointillés dans l'unique salle de l'exposition «Revenir». Tirets dessinant des flèches d'un bout à l'autre de la Méditerranée sur des cartes accrochées aux murs. Points brodés sur la grande toile de tissu de l'artiste Rima Djahnine, où se surexposent les images d'une traversée en bateau projetées depuis un vidéoprojecteur, au-dessus de nos têtes (Retours en territoire intime, qu'en reste-t-il ?, très belle oeuvre aux fils pendants, comme on le dirait d'une question). Des pointillés comme autant de vies suspendues ou dédoublées, entre-deux rives, de-ci et de-là.

Guerre. De nombreuses expositions sont consacrées ces derniers mois aux départs et aux migrations : la Biennale de Venise intitulée cette année «Etrangers partout» ; «Exils» au Louvre-Lens, «Chaque vie est une histoire» au Palais de la Porte dorée. Beaucoup plus modeste dans ses dimensions, «Revenir, expériences du retour en Méditerranée», au Mucem, se consacre habilement au chemin inverse, celui du retour, dont on sait depuis Ulysse qu'il peut prendre davantage de temps encore. Fantasmé, réel, empêché ou contraint, le retour est aussi un va-et-vient rituel, souvent joyeux, comme les étés passés au bled, évoqués ici par le clip Tonton du bled de Rim'K, sorti en 1999).

«Revenir est une présence, une présence à soi», écrivent Giulia Fabbiano et Camille Faucourt, les deux commissaires de l'exposition dans le livre Revenir (éditions Anamosa) qui en constitue le catalogue. Sur les murs de la salle du fort Saint-Jean, beaucoup de photos de famille, des collections de passeports tamponnés, visés, et sur lesquels les visages se rident au fil des ans, des cartes et des plans qui tentent de fixer des territoires qui ne s'appartiennent plus. Des pignes de cèdre, des feuilles séchées et l'arbre généalogique d'un figuier, comme si, après les visages, c'est la végétation du pays qu'on a quitté qui manque le plus.

Tout est donné, l'intime comme le politique et le collectif, sans qu'on puisse toujours bien dégager, parmi ces fragments d'existences, le récit d'une vie ou d'une communauté, celle d'un réfugié de la guerre civile grecque, de la petite-fille d'Arméniens, des descendants de la communauté juive disparue de Rhodes ou des gamins arabes d'Iqrith et de Bir'em, en Haute Galilée, qui ont continué d'organiser des camps de vacances dans leurs villages détruits par l'armée israélienne au début des années 50. «Mémoire». Les soubresauts les plus brutaux du monde ont rattrapé l'exposition et certains objets sont déjà devenus le souvenir et la trace d'un monde qui n'est plus. Ainsi des fragiles espoirs palestiniens de pouvoir se réapproprier un territoire perdu, ou au contraire la force nouvelle que prend l'oeuvre de la Syrienne Bissane Al-Charif, In Ten Years. En 2014, elle demandait à des Syriennes, dont on voit les petites filles courir sur le tapis d'un salon dans une ronde joyeuse mais claustrophobe, comment elles voyaient leur vie dans dix ans. Dix ans après nous y sommes, et le boucher syrien vient de tomber. «Je n'aurais jamais imaginé cela, confiait-elle il y a quelques jours à Libération. En tant qu'artiste et activiste, ce sur quoi je travaille ne sert finalement pas à rien. J'ai besoin de restaurer la mémoire de mon pays et de ne pas être dans l'imagination d'un pays qui n'existe plus.» Une autre, et puissante, définition du retour.

Revenir, expériences du retour en Méditerranée jusqu'au 16 mars au Mucem. Le livre du même nom est édité chez Anamosa.