« Nos âmes se reconnaîtront-elles ? » : après Troie, l'autre bataille d'Hélène et Ménélas
Aurélien Gerbeault
De retour au théâtre, Simon Abkarian puise de nouveau dans la mythologie et imagine, dans un texte empreint de lyrisme, les retrouvailles entre Hélène et Ménélas, alors que le chaos règne dans la cité troyenne.
Il fallait, pour Simon Abkarian, achever son triptyque. Après Ménélas Rebétiko Rapsodie, puis Hélène après la chute, l'auteur finit d'explorer la relation entre le roi de Sparte et sa reine. Dans ce tableau, la guerre est terminée, Troie est tombée et partout les Grecs pillent la cité. Sur une scène à la lumière tamisée, un homme entre. Ménélas s'avance et constate l'ampleur des massacres, mais son seul objectif désormais est de rejoindre Hélène.
Dix ans de conflit ont évidemment laissé des traces sur chacun. Ménélas en a conscience, mais il poursuit. Il est allé trop loin pour renoncer maintenant. De son côté, Hélène semble tout aussi perdue, rongée par la culpabilité. Elle sait que son mari vient la chercher, mais ne peut se résoudre à rester passive en attendant de connaître son sort.
Avec Nos âmes se reconnaîtront-elles ? (1), Simon Abkarian imagine ainsi le chemin de ces retrouvailles, tout à la fois redoutées et inévitables. Et s'intéresse aux racines de l'amour d'Hélène et Ménélas : peut-il survivre à cette guerre ? Pour y répondre, l'auteur reprend les codes de la tragédie grecque et de ses longs monologues, dans un texte empreint de lyrisme.
Un mythe ancré dans notre époque
La mise en scène, elle, est résolument moderne. Sur le plateau épuré trône seulement une table de banquet. Deux musiciens et le jeu de lumière font le reste, et suffisent à créer une atmosphère tantôt oppressante, parfois plus envoûtante.
Sur scène, aux côtés de Simon Abkarian, Marie-Sophie Ferdane rend à Hélène un charisme et une volonté que le mythe d'Homère ne lui avait pas accordés. Avec son jeu, l'actrice est captivante. On sent Hélène à fleur de peau, mais jamais elle ne se départit de sa grâce. Avec une voix toujours chargée d'émotions, Marie-Sophie Ferdane donne vie à un personnage qui reprend petit à petit le contrôle de sa vie. Surtout quand elle réalise l'horreur commise en son nom : « Elle n'est pas mue par la justice cette vengeance, mais par une pulsion qui ne s'explique pas. »
Quand vient la rencontre des deux époux, le dialogue qui s'installe tourne parfois en rond, et fait perdre aux personnages un peu de la force qu'ils tiraient jusque-là de leurs longues réflexions. Simon Abkarian réussit tout de même son pari et ancre le mythe dans notre époque en lui conférant un souffle élégant de modernité.
(1) À Nanterre au Théâtre des Amandiers jusqu'au 2 février, puis en tournée. Du 21 au 23 mai à Amiens, le 8 avril à Villefranche-sur-Saône, le 6 mai à Agen. Rens. : nanterre-amandiers.com.
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