Bulletin Quotidien
Evénements et perspectives, mercredi 15 janvier 2025 2204 words

Le Premier ministre François BAYROU ne parvient pas à arracher le soutien des socialistes à l'issue de sa déclaration de politique générale

Le Premier ministre François BAYROU ne parvient pas à arracher le soutien des socialistes à l'issue de sa déclaration de politique générale

Le Premier ministre François BAYROU ne parvient pas à arracher le soutien des socialistes à l'issue de sa déclaration de politique générale

Un mois après sa nomination à Matignon, le Premier ministre François BAYROU s'est prêté hier au traditionnel exercice de la déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, à l'issue de laquelle il n'aura pas réussi à convaincre le Parti socialiste de ne pas le censurer, en dépit de ses annonces attendues sur la réforme des retraites.

En annonçant la réunion dès vendredi et pendant trois mois d'une délégation permanente chargée de "rechercher une réforme nouvelle, sans aucun totem ni aucun tabou, pas même l'âge" légal de départ, à la seule condition de "ne pas laisser se dégrader l'équilibre financier" du système, mais sans évoquer de "suspension" formelle du texte voté en ??2023 (cf. infra), M. BAYROU n'a pas satisfait les revendications du groupe Socialiste. De fait, celui-ci aurait voulu qu'il s'engage à ce que le résultat de cette négociation entre partenaires sociaux soit examiné à l'Assemblée nationale. Or le Premier ministre a annoncé que le Parlement ne serait saisi qu'en cas d'accord trouvé par ce "conclave". "S'il y a un accord, une loi examinée à l'AN et au Sénat rapidement, c'est-à-dire "avant l'été", a-t-il promis. En revanche, si aucun accord n'est trouvé, "la réforme actuelle continuera de s'appliquer", a-t-il affirmé.

Une position qui revient à donner "un droit de veto" au Medef, a aussitôt réagi devant la presse le député (PS) d'Indre-et-Loire Laurent BAUMEL, membre du Bureau national du PS. "Le compte n'y est pas", a déploré au même moment dans l'hémicycle le président du groupe Socialiste Boris VALLAUD, sans dire si son groupe voterait ou non la censure. "La perspective d'une loi avant l'été, nous la prenons", a-t-il dit. Mais "notre objectif demeure l'abrogation", a poursuivi M. VALLAUD, qui a par ailleurs interrogé le Premier ministre sur toute une série de mesures souhaitées. "Où en est-on de la contribution sur les hauts revenus ? De la taxe sur les transactions financières ? sur les hôpitaux publics ? sur les jours de carence ? sur l'augmentation des dépenses de l'Assurance maladie, en particulier pour l'hôpital public", sur la suppression des postes dans l'Education nationale ? sur le budget des Outre-mer ? sur la transition écologique (notamment le fonds vert, le fonds eau et le fonds chaleur) ?", a-t-il notamment demandé à M. BAYROU, qui lui a répondu point par point à la fin de la séance sans pour autant sembler le convaincre (cf. infra). "Où sont vos engagements ? Où sont vos compromis ?", a demandé M. VALLAUD, qui a participé durant toute la semaine dernière avec son homologue du Sénat et le Premier secrétaire du PS Olivier FAURE à des négociations avec le gouvernement à Bercy pour tenter de trouver un accord de "non censure". "L'avenir de ce pays est entre vos mains. Nous avons pris nos responsabilités, à vous de prendre les vôtres", a-t-il conclu. Et de prévenir : "tout ce que vous ne consentiriez pas à la gauche aujourd'hui et demain (...), vous finirez par le consentir à l'extrême droite".

"Retrouver la stabilité" et "se ressaisir" pour adopter rapidement les textes budgétaires

"L'injonction que le pays nous assigne", c'est "retrouver la stabilité", avait déclaré un peu plus tôt le Premier ministre en prenant la parole à la tribune, un peu moins de quatre mois seulement après le discours ?de politique générale de M. Michel BARNIER (cf. BQ du 02/10/2024).

Mais "au risque de vous surprendre, je crois que cette situation est un atout. Parce que quand tout va bien, on s'endort sur ses lauriers. Et quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage", a ajouté M. BAYROU, non sans quelque forfanterie. Les Français "nous enjoignent, je le crois, de joindre nos forces pour forcer les issues". "Il faut nous ressaisir pour adopter sans tarder les deux budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale", a-t-il ajouté, mettant en garde contre un "précarité budgétaire" que "nous payons tous au prix fort, entreprises, investisseurs, familles, contribuables, emprunteurs".

"Tous les partis de gouvernement, sans exception, ont une responsabilité dans la situation (d'endettement) créée ces dernières décennies" et "tous les partis d'opposition, en demandant sans cesse des dépenses supplémentaires, ont dansé le tango fatal qui nous a conduits au bord du précipice", a également accusé M. BAYROU, qui considère cette dette comme "une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social".

Dans son discours, le Premier ministre a longuement insisté sur sa conception de la démocratie et la nécessité de "respecter le pluralisme" des opinions et des partis, se disant favorable à ce que le concept de "laïcité" (dont la racine grecque signifie : "faire un seul peuple", a-t-il rappelé) s'impose dans la vie politique autant que dans la vie religieuse ou philosophique. C'est dans cette optique qu'il a annoncé la relance de la "banque de la démocratie" annoncée dès 2017 par M. Emmanuel MACRON et la réforme du mode de scrutin législatif en vue d'y insérer le "principe proportionnel" (cf. infra). Pour autant, il a tenu à marquer sa différence avec le fondateur de La France insoumise Jean-Luc MELENCHON. "Je n'approuve pas sa stratégie consistant à tout conflictualiser", a-t-il dit. "Ça peut servir une volonté électorale mais ça ne sert pas le pays. Il y a suffisamment de puissances qui espèrent que la France s'affaiblisse pour que nous ne leur servions pas nos divisions comme un atout pour cette prise de contrôle", a asséné M. BAYROU dans sa réponse à la présidente du groupe LFI Mathilde PANOT. "Je ne crois pas que votre stratégie soit majoritaire dans cette Assemblée", a-t-il d'ailleurs ajouté. "Nous sommes co-responsables de l'avenir du pays. Notre vision, c'est que nous réussissions pour notre pays, avec toutes les sensibilités différentes", a insisté M. BAYROU, disant s'être "toujours battu pour que tous les élus soient considérés à égalité de dignité".

"Je connais tous les risques" de la censure, déjà promise par la France insoumise, a admis enfin le chef du gouvernement. Mais "nous n'avons pas le droit, au nom de nos passions politiques, d'hypothéquer la vie de nos concitoyens", a-t-il conclu, applaudi par le camp présidentiel, plus timidement par la droite, et chahuté par une partie de la gauche.

Ironie du sort, c'est Mme Elisabeth BORNE, numéro deux du gouvernement actuel, qui a lu devant le Sénat le discours de M. BAYROU, elle qui avait fait adopter au forceps via le 49.3 la réforme des retraites en tant que Première ministre en 2023.

Le groupe LFI dépose une motion de censure signée par des députés écologistes et communistes

Sans surprise, le groupe LFI a déposé dans la foulée une motion de censure, signée des députés issus de ses rangs mais aussi des groupes GDR et Ecologiste, membres du Nouveau Front populaire. Aucun membre du groupe Socialiste ne s'est joint à la signature (ce qui ne préjuge pas de leur vote).

La motion, qui devrait être examinée demain soir ou vendredi, fustige un "déni de démocratie" dans la décision de M. Emmanuel MACRON de nommer M. BAYROU à Matignon et dans le refus du Premier ministre de se plier à un vote de confiance à l'issue de sa déclaration de politique générale. "Nous refusons de banaliser ce coup de force, inédit parmi les démocraties parlementaires", écrivent les signataires. Ils critiquent aussi la composition du gouvernement, "à elle seule une provocation justifiant la censure", avec comme numéro deux l'ancienne Première ministre Elisabeth BORNE (qui a "brutalisé le Parlement avec 23 recours aux 49.3") et comme ministre de l'Intérieur M. Bruno RETAILLEAU ("qui ose parler de 'Français de papiers', de 'régression ethnique' et des 'belles heures' de la colonisation). "Le ?gouvernement est un aréopage dont le curriculum vitae annonce aux françaises et aux français une ?politique de casse sociale", dénoncent-ils. Les signataires critiquent enfin le choix fait par le Premier ministre de "reprendre le budget présenté par Michel BARNIER", ce qui a pour conséquence "bloquer toute nouvelle mesure fiscale ambitieuse" (en raison de la règle dite "de l'entonnoir"). "Le budget de François BAYROU sera celui de Michel BARNIER, en pire. Dès lors, la censure est une ?mesure de protection des Françaises et des Français contre une politique de destruction de services ?publics et de la protection sociale", estiment-ils.

La motion est signée par 58 députés au total (le minimum nécessaire), à commencer par la présidente du groupe LFI Mathilde PANOT. Parmi les signataires, sept membres du groupe Ecologiste (Mme Clémentine AUTAIN, MM. Alexis CORBIERE, M. Hendrik DAVI, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, Mmes ?Sandrine ROUSSEAU, Sabrina SEBAIHI et Danièle SIMONNET) et neuf membres du groupe GDR à majorité communiste (M. Edouard BENARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, Mmes Elsa FAUCILLON, ?Emeline K/BIDI, Karine LEBON, MM. Frédéric MAILLOT, Davy RIMANE et Nicolas SANSU).?

"Les concessions accordées aux socialistes sont tellement grotesques, on leur laissera le plaisir de vous expliquer en quoi ça consiste", a ironisé devant la presse le fondateur de LFI Jean-Luc MELENCHON, selon lequel "le bilan du PS aura été de mettre à terre le NFP et de diviser les syndicats", qui ne sont pas d'accord sur la réforme des retraites. "Les socialistes ont un choix : voter la censure ou soutenir le gouvernement", a-t-il ajouté en mettant en garde les élus de gauche qui seraient tentés de ne pas voter la motion déposée par Mme Mathilde PANOT. "Tous ceux qui ne votent pas la censure sortent de l'accord du NFP, donc on met des options sur leur circonscription" et on présentera des candidats face à eux, a-t-il prévenu sans ménagement. "Il y a une gauche qui braille et une gauche qui travaille", avait déclaré dans la matinée M. FAURE, disant "ne plus lire les insultes quotidiennes de Jean-Luc MELENCHON". "J'ai l'impression que la moitié du groupe Socialiste va (la) voter. Ça gronde au PS. Tous les Ecologistes vont la voter et la plupart des députés du groupe communiste également", a par ailleurs assuré un cadre LFI.

"Dans deux jours nous voterons la censure", a confirmé auprès de la presse la présidente du groupe Ecologiste Cyrielle CHATELAIN en se disant "atterrée" par un discours "indigent", "flou" et rempli de "clins d'oeil au RN". "La seule chose qu'on a retenue, c'est que le gouvernement ne reviendra pas sur la réforme des retraites (...). L'écologie, c'est 158 mots au bout d'une heure et quart de discours !", a-t-elle déploré, alors que son parti réclamait un engagement sur 7 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour la transition écologique.

"Même si on ne s'attendait pas à grand-chose, nous avons quand même été déçus", a réagi à la tribune le député (GDR) Stéphane PEU en réclamant "un changement majeur de cap politique". "Nous regrettons d'emblée votre refus (...) d'organiser une conférence sociale", a-t-il ajouté en appelant à un "projet de loi abrogeant et se substituant à la réforme Borne de 2023", "sans recourir au 49.3".

Si le groupe Socialiste ne s'est pas encore officiellement prononcé, le Premier secrétaire du PS Olivier FAURE a prévenu dans la soirée sur TF1 que les socialistes voteraient la motion de censure, sauf s'ils obtiennent "une réponse claire" sur l'existence d'un "débat sincère" sur une modification de la réforme des retraites, "sur la base des propositions qui auront été faites par les uns et les autres". Selon un député socialiste, la moitié des 66 membres du groupe pourrait voter la censure, soit une trentaine de députés. "C'est tendu. Si toute la gauche vote la censure sauf nous, on se coupe des autres", fait valoir cette source.

A droite, le président du groupe de la Droite Républicaine (DR) Laurent WAUQUIEZ a contesté la proposition de M. BAYROU d'avancer sur "un principe de proportionnelle dans le scrutin législatif" (cf. infra) mais annoncé que son groupe apporterait un "soutien exigeant, texte par texte", au gouvernement.

Le président du groupe EPR Gabriel ATTAL s'est pour sa part adressé à ses collègues socialistes (son camp d'origine), les appelant "à ne pas voter la censure", pour que les Français puissent "reprendre espoir". "La politique sortirait grandie si vous vous décidiez à vous détacher enfin de la gauche la plus radicale", a-t-il insisté, mettant en garde contre le "grand risque" couru par le pays. "Il suffirait de presque rien pour que la France bascule", a estimé l'ancien Premier ministre en promettant de combattre "toujours et partout" le "chemin du chaos" représenté par l'extrême droite et l'extrême gauche. "Nous serons au rendez-vous de la responsabilité. Pensons à la France avant de penser à nous !", a-t-il exhorté.

La motion de censure n'a cependant aucune chance d'être adoptée, le RN ayant confirmé qu'il ne la voterait pas, bien que le président du parti Jordan BARDELLA ait dénoncé un discours "lénifiant" et l'annonce de "concertations sans fin". Une mansuétude qui ne sera probablement plus de mise lorsqu'il s'agira d'adopter les textes budgétaires, vraisemblablement via l'usage du 49.3. Le Premier ministre, qui a pris soin de ne pas trop en dire sur le sujet (cf. infra), s'est ainsi donné quelques semaines supplémentaires pour négocier avec la gauche les conditions de son maintien au gouvernement.